La Polonaise Wisława Szymborska écrit dans une Europe communiste où le progrès technique est idéologie d’État. Pourtant, un spectre hante le monde : l’ombre de la bombe. Poétesse du doute, Wisława Szymborska lui oppose sa seule foi humaniste. Elle recevra le Prix Nobel de littérature en 1996.
Je crois en une grande découverte.
Je crois en l’homme qui fera la découverte.
Je crois en l’effroi de l’homme qui fait la découverte.
Je crois en son visage livide,
en sa nausée, sa sueur froide.
Je crois en ses notes brûlées,
brûlées jusqu’aux cendres,
brûlées jusqu’à la dernière.
Je crois en la dispersion des chiffres,
leur dispersion sans regrets.
Je crois en la hâte de l’homme,
en la précision de ses gestes,
et en son libre arbitre.
Je crois en la destruction des tables,
le déversement des liquides,
l’extinction du rayon.
J’affirme qu’on y parviendra,
qu’il ne sera pas trop tard,
et que la chose se fera sans témoins.
Personne n’en saura rien, j’en suis certaine,
ni la femme, ni le mur,
ni l’oiseau : sait-on jamais ce qu’il chante.
Je crois en la main suspendue,
je crois en la carrière brisée,
en des années de travail pour rien.
Je crois en un secret emporté dans la tombe.
Ces mots planent très haut au-dessus des formules.
Ne cherchent nul appui sur un quelconque exemple.
Ma foi est forte, aveugle, sans aucun fondement.
Wisława Szymborska, De la mort sans exagérer, traduit du polonais par Piotr Kaminski © Gallimard, 2018© The Wisława Szymborska Foundation,www.szymborska.org.pl