Quotidienne

L'Étranger

Julien Bisson, journaliste

Chaque samedi, retrouvez la genèse d'un grand roman racontée par Julien Bisson dans Le 1 des Libraires. Aujourd'hui, L'Étranger d'Albert Camus.

L'Étranger
Jacques Fernandez

Les grands classiques de la littérature ont chacun leur histoire propre, faite d’inspiration, de frustration, de consécration. Dans le cas de L’Étranger, tout commence par la renonciation à un premier roman déjà largement rédigé, La Mort heureuse. Dans ce premier texte de fiction, Albert Camus imaginait déjà l’histoire d’un employé algérois, Patrice Mersault, qui tue un autre homme sans remords. Devenu riche, ce dernier s’emploie à vivre dans l’hédonisme et le sentiment de la liberté – jusqu’à ce qu’une maladie l’emporte. Il faut dire que le thème est cher au jeune écrivain : depuis une crise de tuberculose à 17 ans, celui-ci connaît la précarité de la vie, le risque de l’anéantissement. À l’été 1938, Camus envoie le manuscrit de La Mort heureuse à son mentor, Jean Grenier, dont il guette fébrilement la lecture. La réponse est cinglante : le roman est un échec. Camus est effondré. Il adresse alors une longue missive à son ancien professeur de philosophie, qu’il conclut par ces mots : « Croyez-vous sincèrement que je doive continuer à écrire ? […] J’ai assez d’expérience pour comprendre qu’il vaut mieux être un bon bourgeois qu’un mauvais intellectuel ou un médiocre ­écrivain. »

Et en octobre 1938, il peut déjà rédiger sur une page de son carnet quelques phrases appelées à rester célèbres : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »

Camus, à 24 ans, est encore trop jeune pour se résigner. Surtout, ce jeune homme au visage long et au regard tendre sent déjà s’agiter en lui un autre roman, nourri de certains éléments de La Mort heureuse, bien sûr, mais traversé par d’autres éclairs. Lors d’un séjour à Paris, en 1937, il avait ainsi crayonné l’esquisse d’un livre aux contours familiers : « Un homme qui a cherché la vie là où on la met ordinairement (mariage, situation, etc.) et qui s’aperçoit d’un coup, en lisant un catalogue de mode, combien il a été étranger à sa vie. » Meursault commence déjà à percer sous Mersault. Surtout, Camus s’éloigne du sentimentalisme de son premier texte pour trouver p…

26 août 2023
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