Progrès (II)

 

Cet arbre rêve 
D’oranges et d’oiseaux 
Et toi tu 
pianotes 
ton androïde 
C’est pour prévenir 
le Grand Pâtissier 
Patron il faut apporter les 
trapèzes 
Y’a la mécanique qui se 
dégrade 
Qui sera l’acrobate 
de cet arbre ?

 

 

Ce dimanche 28 mars 2021, on manifeste en France pour dénoncer le manque d’ambition du projet de loi Climat et résilience. À Paris, place de la République, les tribuns mêlent les nouveaux mots d’ordre aux anciennes antiennes : écologie et précarité, convergence des luttes… Les manifestants, eux, portent les atours de la ville intra-muros. Ils brandissent des pancartes de la planète bleue ; une jeune femme agite un panda en peluche… Au regard du discours complexe des orateurs, leurs slogans ont parfois la naïveté de l’exotisme d’antan. Un peu comme si notre gentille planète occupait désormais dans nos imaginaires la place réservée auparavant au bon sauvage. Et que la Nature eût été renommée Vendredi. 

 

En les écoutant, je songeais au succès mondial du livre de Peter Wohlleben, La Vie secrète des arbres, dans lequel les plantes semblent parfois dialoguer entre elles comme des amies de longue date. Où est passé la terreur sacrée qu’évoquait Victor Hugo ? « Et, d'abord, sache / Que le monde où tu vis est un monde effrayant / Devant qui le songeur, sous l’infini ployant, / Lève les bras au ciel et recule terrible. » Le mystère de la vie semble être devenu un conte pour enfants sages. Loin, très loin de ces paroles de Pessoa, plus profondes parce que plus respectueuses de la surface du monde :

 

Les poètes mystiques sont des philosophes malades, 
Et les philosophes sont des hommes déments. 

 

Car les poètes mystiques disent que les fleurs ont des sentiments 
Et disent que les fleurs ont une âme 
Et que les fleuves connaissent des extases sous le clair de lune. 

 

Mais les fleurs, si elles avaient des sentiments, ne seraient pas des fleurs, 
Elles seraient des personnes ; 
Et si les pierres avaient une âme, elles seraient choses vivantes, et non des pierres ; 
Et si les fleuves connaissaient des extases sous le clair de lune, 
Les fleuves seraient des hommes malades.

 

La maladie actuelle dont souffrent les forêts n’est sans doute pas psychologique. Et le simplisme de la nouvelle religion de la nature, à double tranchant. Il nous éloignerait à la fois de la raison, cet instrument encore utile pour régler nos problèmes, et du respect devant une nature effrayante, dont nous ne pourrons jamais percer les arcanes.

 

« Make our planet great again », déclarait en 2017 Emmanuel Macron. Et moi, de me demander ingénument pourquoi la Terre préférerait-elle forcément les vertes campagnes aux déserts et aux glaces, elle qui a connu bien des âges depuis la période actuelle. D’autres espèces naîtront probablement après nous, qui s’adapteront aux poubelles que nous aurons laissées, même radioactives. Si le réchauffement climatique nous préoccupe tant, c’est d’abord parce que nous y risquons, nous êtres humains, notre propre survie. Et le soir, alors que le couvre-feu vide le parc de Belleville, je pense qu’il y a deux semaines encore, pétrifié, je regardais le soleil se coucher entre les H.L.M. Et je ressasse ces formules qui voudraient nous sauver.

 

 

 

Référence des poèmes cités :

– Victor Hugo, Les Contemplations, « Ce que dit la bouche d’ombre », 1856.

– Fernando Pessoa, Le Gardeur de troupeaux, traduction de Maria Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne et Patrick Quillier, Christian Bourgois Éditeur, 1989, 2001.

 

 

Retrouvez tous les écrits de Louis Chevaillier pour le 1 ici