Dix ans après Le vent se lève, Hayao Miyazaki, le maître de l’animation japonaise, est (enfin) de retour en France, avec deux œuvres inédites aux airs de bornes dans sa longue carrière. La première, Le Voyage de Shuna, est un splendide récit illustré à l’aquarelle de plus de 160 pages, publié au Japon il y a tout juste quarante ans. Inspirée d’un conte tibétain, cette histoire de prince en quête d’une céréale magique capable de sauver son peuple annonce déjà le lyrisme de Nausicaä ou de Princesse Mononoké, et la description d’un monde corrompu par la cupidité après avoir tourné le dos à la nature. Quant au film Le Garçon et le Héron, sa sortie sur les écrans le jour de la Toussaint sert à propos son récit marqué par le deuil et la dévastation, mais aussi par la possibilité de la renaissance et du dialogue avec les esprits. Au sommet de son art graphique, Miyazaki y renoue avec ces mondes cachés où se terrent nos angoisses comme les graines de notre liberté.

D’une œuvre à l’autre se déploie ainsi la variété de ses décors, autant que la profonde cohérence d’un univers qui invite à penser notre temps. Car le monde selon Miyazaki n’est pas seulement cette ode visuelle à la nature, à l’amitié ou au courage de jeunes héros (ou plus volontiers héroïnes) face à l’adversité. C’est bien davantage un lieu où s’agitent, depuis près d’un demi-siècle, les grandes questions qui déchirent notre époque : jusqu’où faire confiance au progrès technique ? Comment protéger l’enfance de ce qui la menace ? Est-il possible de se prémunir du mal et de la guerre ? Autant de motifs qui jalonnent son œuvre, depuis Mon voisin Totoro jusqu’au Voyage de Chihiro, pour dessiner un imaginaire moins naïf qu’il n’y paraît. Chez Miyazaki, il ne s’agit pas seulement d’affirmer que la nature est belle et que nous la piétinons. Mais de comprendre pourquoi ce monde mérite d’être sauvé, et nous avec. De célébrer, par l’émerveillement et l’amor mundi cher à Hannah Arendt, la possibilité d’échapper à la -corruption et à la tentation de la destruction.

 

Philosophe, Miyazaki ? À sa manière, sans doute, en érigeant à grands coups de crayon des mythes contemporains auxquels se raccrocher, à découvrir dans ce hors--série exceptionnel du 1. À 82 ans, le cinéaste a laissé entendre que Le Garçon et le Héron ne serait peut-être pas son dernier film. Le rachat des mythiques studios Ghibli, qu’il a cofondés, par un groupe télévisé nippon semble pourtant marquer un tournant. Reste la possibilité, comme souvent chez lui, de s’engouffrer dans une porte ou de franchir un pont. Histoire de retrouver pour un temps ce monde dont il nous a montré le chemin, monde de l’enfance perdue, du sauvage oublié et de l’harmonie à réparer.