C’est une colère qui vient de loin. Nourrie par la conviction ancestrale qu’être paysan n’est pas un métier comme les autres. Être paysan, c’est incarner un pays, être garant de ses paysages. C’est accomplir à travers les travaux et les jours une fonction vitale : nourrir les humains pour les empêcher de mourir. C’est aussi rendre les espaces vivants, et vivables. Dessiner ce que Fernand Braudel appelait « l’identité de la France ».

Les paysans sont devenus des agriculteurs. 

Mais depuis l’après-guerre, à marche forcée, les paysans sont devenus des agriculteurs. Des techniciens de la terre engagés dans une course folle aux rendements, dopés par une chimie aussi efficace que destructrice, et une motorisation creusant une dette qui étrangle, et pousse parfois les plus faibles au suicide. Cette loi du plus fort a fait naître ici des déserts ruraux, et là des exploitations gigantesques, tenantes d’une agriculture industrielle polluante et dénaturée. Le modèle de la ferme familiale a vécu, et les manifestations de ces derniers jours sur les routes coupées de barrages nous montrent le spectacle de ces visages et de ces corps roués qui crient pour ne pas disparaître. Tant ont déjà disparu.

Au-delà des revendications sur le prix du gazole non routier, ou sur les normes environnementales qui leur sont imposées, les agriculteurs en détresse en appellent à la dignité. Depuis trente ans qu’ils crient, personne ne les entend ? Leur action nous confronte brutalement à un choix de société qui ne serait ni le libéralisme outrancier et ravageur ni l’archaïsme aux accents décroissants. Si on trouvait enfin, ensemble, une solution ? 

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