Royaume-Uni
L’exercice du pouvoir s’avère nettement plus compliqué que prévu pour Keir Starmer, leader du Labour. Tout avait pourtant bien commencé en juillet 2024, lorsque la gauche britannique a remporté une écrasante victoire (403 sur 650 sièges) face aux conservateurs qui ont dirigé le pays tout au long des quatorze dernières années.
Depuis son arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement travailliste enchaîne toutefois les déconvenues. D’abord, le « trou noir » de 22 milliards laissé dans les finances par ses prédécesseurs. Puis divers scandales qui éclaboussent des membres du gouvernement, dont Starmer lui-même, critiqué pour avoir accepté des cadeaux. Et récemment, une série de mesures impopulaires, comme l’annonce d’une hausse d’impôt substantielle. Si bien que, au mois de septembre, 50 % des Britanniques se disaient déçus par le nouveau gouvernement.
« Il faut bien voir que l’élection de 2024 a été un vote de sanction contre les tories, bien plus qu’un vote d’adhésion au programme des travaillistes », souligne Clémence Fourton, maîtresse de conférences en études anglophones à Sciences Po Lille. Après le Brexit et la gestion désastreuse de la crise du Covid par le gouvernement Johnson, le message est clair : « du changement », comme le clamait le slogan de campagne des travaillistes.
« Là réside l’ambiguïté de la stratégie du Labour, souligne la chercheuse. Du changement, mais aussi “de la stabilité et de la modération”. Keir Starmer s’en est assuré en rompant avec la branche la plus radicale du parti, incarnée par son ancien leader Jeremy Corbyn, exclu à la suite d’accusations d’antisémitisme. « Le Labour de Starmer se place résolument dans une vision sociale-démocrate modérée, qui s’appuie sur la croissance de l’économie pour financer la transition écologique, subventionner la renationalisation du rail, financer l’éducation et la NHS, et réduire les inégalités. »
Un retour au centre qui a porté ses fruits ? « Oui et non, tempère la chercheuse. Certes, le Labour de Starmer a remporté ces élections haut la main avec 7 millions de voix, mais il se place en dessous de Corbyn qui, avec son programme d’anti-austérité radicale, avait séduit 12 millions d’électeurs avant d’être battu sur la question du Brexit. « Le gouvernement de Starmer n’est pas menacé à court terme, surtout si ses mesures sociales ont des effets rapides, conclut la chercheuse. Mais les prochaines élections nous diront si la stratégie de recentrement du Labour saura convaincre les électeurs de gauche sur le long terme. »
Espagne
Si la gauche gouverne l’Espagne depuis maintenant cinq ans, elle n’est pas pour autant populaire. « La société espagnole est profondément polarisée, explique María Elisa Alonso, enseignante-chercheuse à l’université de Lorraine. Les deux grands partis, le PSOE à gauche et le PP à droite, recueillent chacun 40 % des voix, et ils ont beaucoup de mal à coopérer. » Pour pouvoir gouverner, le Parti socialiste espagnol a donc dû conclure des alliances avec diverses formations : d’abord le parti Podemos, à la ligne plus radicale, grâce à qui la gauche peut obtenir une majorité, puis, en 2023, avec la coalition Sumar, qui comprend notamment les communistes et d’anciens membres de Podemos. Mais, cette fois-ci, le Premier ministre Pedro Sánchez doit demander le soutien, très clivant, du parti indépendantiste catalan de Carles Puigdemont en l’échange d’une mesure d’amnistie qui divise profondément le pays.
« La gauche de Sánchez s’est fait élire sur un programme social-démocrate traditionnel, analyse la chercheuse, et, durant ces cinq années, elle a réussi à imposer plusieurs mesures phares » : lutte contre le chômage, hausse du salaire minimum, engagement contre les violences sexistes et sexuelles et pour les droits des femmes, aide à l’accès au logement… La ministre du Travail, la communiste Yolanda Díaz, est également en train d’essayer de faire passer une réforme du chômage et une réduction du temps de travail.
Mais les difficultés n’ont pas disparu pour les Espagnols, dont le taux de chômage reste l’un des plus élevés de l’Union européenne. Malgré plusieurs succès, dont un taux de croissance de 2,5 % en 2023, nettement au-dessus de la moyenne européenne (0,8 %), la gauche est de plus en plus fragilisée. « Les alliances ponctuelles avec les partis indépendantistes catalans ou nationalistes basques ne passent pas auprès d’une grande partie de la base, qui y voit une forme de compromission », souligne la chercheuse. Un sentiment intensifié par la mauvaise gestion des inondations dans la région de Valence. Au point que la gauche pourrait se faire détrôner lors des prochaines élections de 2027 ? « Pour l’instant, le PP est embarrassé par son alliance avec le parti d’extrême droite Vox, qui a fait de la disparition des communautés autonomes son cheval de bataille. Mais si Vox disparaissait, les partis indépendantistes n’auraient aucun problème à s’allier avec le parti de droite, dont ils sont idéologiquement beaucoup plus proches. Ce serait alors la fin du moment socialiste. »
Allemagne
Le mandat d’Olaf Scholz aura-t-il été une courte parenthèse sociale-démocrate dans le paysage politique allemand ? Arrivé à la tête du pays en 2021, après que plusieurs faux pas eurent coûté des voix aux candidats conservateurs et verts, le leader du SPD a formé une coalition « feu tricolore » avec les libéraux et les écologistes. C’est cette alliance fragile qui a volé en éclats il y a quelques jours, après un désaccord insurmontable sur le budget. Résultat : des législatives anticipées fixées à février 2025, qui pourraient bien priver Scholz de son poste de chancelier.
Pris en étau entre des libéraux et des écologistes qui ne s’entendent sur presque rien, « le SPD de Scholz a essayé de jouer le rôle de médiateur entre ses différents alliés », analyse Jeanette Süß, chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri. « Mais à force d’être dans la modération et dans la pondération, la ligne idéologique du parti a elle-même fini par se brouiller aux yeux des électeurs ».
De fait, la gauche allemande est traversée par plusieurs lignes de fracture. D’abord, son rapport à l’endettement. « C’est une spécificité allemande, rappelle la chercheuse. L’aile modérée du parti veut rester fidèle au “frein à l’endettement” plébiscité par ses alliés libéraux, tandis que l’aile gauche veut s’endetter pour investir. C’est d’ailleurs sur ce point que les négociations de la coalition ont achoppé. »
Autre point de désaccord, le soutien financier et militaire à l’Ukraine. Historiquement, le SPD se veut pacifiste, mais, face aux demandes d’une partie de l’opinion publique d’intensifier les aides, il a fait évoluer sa position – Berlin est aujourd’hui l’un des plus grands soutiens de Kiev. « Lorsque le débat a été ouvert sur la livraison d’armes à l’Ukraine, beaucoup d’électeurs du SPD ont estimé qu’une ligne rouge avait été franchie et qu’ils ne se retrouvaient plus dans l’ADN du “parti de la paix” », relève Jeanette Süß.
C’est là qu’un nouveau parti, l’Alliance Sahra Wagenknecht – Pour la raison et la justice (BSW), entre en jeu. Fondé en janvier 2024 par une ancienne figure de la gauche radicale allemande, ce parti à tendance populiste a connu une croissance fulgurante en Allemagne, notamment dans l’Est. Rompant avec l’héritage du SPD, mais aussi, en partie, avec celui de Die Linke, le parti de gauche radicale traditionnel, dont il a capté l’électorat, le BSW se réclame du « conservatisme de gauche », met l’accent sur la justice sociale et l’interventionnisme de l’État, la lutte contre l’« immigration incontrôlée », et prône le pacifisme ainsi que le rétablissement des bonnes relations avec la Chine et la Russie.
À l’approche des élections fédérales anticipées, alors que le SPD est en difficulté et que l’alliance avec les libéraux a échoué, la gauche va devoir faire des choix. Remplacer Scholz à la tête du parti par le très populaire ministre des Armées Boris Pistorius ? S’allier avec le BSW ? « Pour l’instant, le SPD exclut de traiter avec le BSW au niveau national, rappelle la chercheuse. Mais à l’échelle des Länder, des alliances ont déjà été conclues. »