L’élection de Donald Trump le 6 novembre dernier, au bout d’un scrutin bien moins serré qu’attendu, est un nouveau séisme politique, une réplique de celui de 2016, mais en plus grave encore. Car la thèse de l’accident, désormais, ne tient plus : Trump est bien le personnage politique le plus important de notre époque, et le populisme réactionnaire qu’il incarne, la force tristement dominante. Les premières nominations au gouvernement du milliardaire à la Maison-Blanche tracent d’ailleurs déjà la route de ce second mandat, entre sympathie pour les dictatures, démantèlement de l’État-providence et chaos environnemental.

Mais la victoire de Trump, c’est aussi la défaite de Kamala Harris et, avec elle, de tout le camp démocrate, des principaux médias américains et des élites culturelles qui l’ont massivement soutenue. Alors pourquoi une telle déroute ? Les réponses sont évidemment multiples, mais la question a au moins permis à chacun de jouer sa partition, sur fond de querelle des gauches. Pour les uns, la candidate démocrate aurait péché par excès de centrisme, incapable de se positionner sur l’augmentation des inégalités, l’accès au système de santé ou la guerre à Gaza. Pour les autres, sa défaite serait, au contraire, due aux positions beaucoup trop « wokes » de la gauche américaine, notamment sur la question du genre ou de l’accueil des immigrés, lesquelles auraient fini par lui aliéner une partie de l’électorat latino notamment, plus conservateur culturellement. Deux critiques aux logiques opposées, qui traduisent les doutes et le désarroi d’un camp qui peine à s’orienter dans le nouvel ordre politique.

Quel chemin la gauche doit-elle dès lors emprunter, si elle veut pouvoir résister à la vague extrémiste des Trump, Orbán, Le Pen, Milei et consorts ? Quels combats doit-elle porter à l’avenir pour renouer avec ces classes populaires qu’elle dit défendre, mais qui la boudent dans les urnes ? Doit-elle changer de discours sur l’immigration, la sécurité, les droits des minorités, la transition écologique à pas forcés ? Ou, au contraire, soutenir ces changements profonds de société, quitte à rester éloignée du pouvoir ? Pour répondre à ces questions, ce numéro du 1 hebdo vous propose de prendre un temps de recul, afin de comprendre les dissensions stratégiques qui agitent les gauches à travers la planète, mais aussi les leçons à tirer si elles ne veulent plus passer pour le camp des élites et de la morale. « Les erreurs sont les portes de la découverte », écrivait Joyce dans Ulysse. Encore faut-il savoir les reconnaître pour poursuivre cette longue odyssée de la gauche, à la recherche de sa boussole perdue.