D’untel, on dit qu’il est remarquablement intelligent. D’un autre, qu’il n’a pas inventé l’eau chaude ou n’a pas la lumière à tous les étages. Mais qu’est-ce que l’intelligence ? Ce concept insaisissable concerne des performances dans des domaines très variés : rationnel, pratique, artistique, émotionnel… Il a produit en tout cas un adjectif, « intellectuel », qui a lui-même enfanté un substantif pour désigner des personnes dont la vie est consacrée aux activités de l’esprit. L’« intellectuel » est né en France pendant l’affaire Dreyfus, avec Zola et Clemenceau. Au XXe siècle, trois grandes figures ont successivement dominé la scène : Maurice Barrès, André Gide et Jean-Paul Sartre. Pris collectivement, les intellectuels influents ont été qualifiés d’intelligentsia, un mot venu de Pologne et de Russie. C’était des maîtres à penser qui exerçaient leur magistère à l’Université, dans l’édition ou dans les médias, parfois dans les trois instances en même temps.

Las ! Les erreurs d’appréciation de cette cléricature à laquelle il n’était pas prudent de s’opposer, son indulgence ou sa cécité devant les crimes commis par Staline et par Mao, ont eu raison de son crédit. Sartre n’est pas le seul à être tombé de son piédestal, tandis que la sagesse d’un Raymond Aron se voyait reconnue. La revue Le Débat, créée par Pierre Nora en 1980, l’année de la mort de Sartre, se permettait même de faire un lien entre l’attitude de cette avant-garde à l’égard des totalitarismes et la terreur intellectuelle qu’elle-même exerçait en France. Plus aucun sacrilège n’était interdit… Si l’intelligence est la capacité à raisonner, à comprendre, à réagir rapidement et de manière appropriée, le moins qu’on puisse dire est que la haute intelligentsia n’a pas été très intelligente. 

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