« Chaque siècle a sa marotte ; le nôtre, qui ne plaisante pas, a la marotte humanitaire », écrivait Sainte-Beuve à la fin de la période romantique. L’adjectif avait été employé pour la première fois en 1835 par Lamartine, dans une correspondance, à propos de son « long poème humanitaire ». Ce qui lui avait valu quelques railleries. Mais, à l’époque, le mot n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui : il désignait le souci du bien universel de l’humanité.

Désormais, « humanitaire » s’impose dès qu’il est question, pour des organisations ou des États, d’apporter une aide d’urgence à des populations victimes de désastres provoqués par l’homme ou la nature (séismes, épidémies, conflits armés…). Sans être une « marotte », c’est un mot incontournable. Impossible de parler de la situation à Gaza, par exemple, sans l’employer à tout bout de champ. Il n’y a pas seulement des aides, des financements, des acteurs, des couloirs ou des convois humanitaires : on réclame un « cessez-le-feu humanitaire », on organise une « conférence humanitaire », on dénonce une « catastrophe humanitaire ». Les auditeurs d’une radio de qualité ont même pu entendre une excellente journaliste évoquer l’« horreur humanitaire du 7 octobre »…

Il n’y a aucune mauvaise intention dans l’utilisation systématique de cet adjectif tout-terrain, mais cela sonne bizarrement. La machine médiatique fabrique de l’enflure, le compliqué se complexifie, on ne se contente plus de dénombrer les victimes d’une attaque ou d’un bombardement : les pertes humaines deviennent des « pertes humanitaires ». À force d’employer des mots sans se soucier de leur sens exact, les crimes contre l’humanité finiront par être qualifiés de crimes humanitaires. 

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