Notoriété publique, profits privés

On a coutume de dire que le sport fait partie intégrante du capitalisme mondialisé, au même titre que le divertissement. Il est vrai que la course au gigantisme olympique a été favorisée, à partir des années 1970-1980, par la montée en puissance des technologies de communication. Mais les grandes compétitions internationales n’avaient pas attendu pour se développer. Pendant la guerre froide, elles étaient le terrain de la confrontation idéologique qui opposait les Américains et les Soviétiques. Nous n’en sommes plus là, le sport est devenu une source de notoriété pour les grandes marques mondiales et un centre de profit pour ces grandes organisations que sont le CIO et, du côté du football, la Fifa et l’UEFA. Mais le sport sert toujours des intérêts géopolitiques, diplomatiques et réputationnels. Les Pays-Bas, petit pays, existent au-delà de leur puissance économique par leurs résultats sportifs. Tout comme la France !

La fin du « toujours plus » ?

Les JO de Paris devraient être les premiers Jeux de l’après-gigantisme. Pour donner quelques points de comparaison, les budgets des Jeux de Moscou en 1980 et de Los Angeles en 1984 tournaient entre 1,5 et 2 milliards en euros constants. Les niveaux ont considérablement augmenté ensuite : 4 milliards à Séoul ; 9,3 milliards pour Barcelone (avec une véritable transformation de la ville) ; 2,3 milliards à Atlanta pour des Jeux financés par le privé ; 5,5 milliards à Sydney ; 10 milliards à Athènes ; 31 milliards à Pékin ; 11 milliards à Londres ; 16 milliards à Rio (mais des chiffres officieux sont plus proches d’une trentaine de milliards) et 12 milliards à Tokyo en pleine pandémie de Covid.

En dehors des pays autoritaires, des pétromonarchies et de villes américaines fonctionnant sur fonds privés, les candidats ne se bousculent plus

Les budgets de Paris 2024 (4,4 milliards d’euros pour le Cojop chargé de l’organisation de l’événement et, côté infrastructures, 4,4 milliards pour la Solideo) ont dû être revus à la hausse en raison de l’inflation, et nous sommes encore loin de l’addition finale, notamment du fait des dépenses de sécurité (320 millions d’euros pour l’heure, un poste que la Cour des comptes estime sous-provisionné). On peut néanmoins y lire un début de décélération financière.

« La malédiction du vainqueur »

Les dépassements budgétaires des Jeux précédents s’expliquent notamment par « la malédiction du vainqueur » (winner’s curse), phénomène décrit dans le cas des JO par l’économiste Wladimir Andreff. Le processus de désignation des villes organisatrices donnait lieu à des enchères entre les candidats, un effet concurrentiel qui aboutissait à des dépassements de l’ordre de 100 % en moyenne. Les villes promettaient monts et merveilles au CIO qui gravait dans le marbre des budgets prévisionnels sous-évalués. À chaque fois, les dépassements étaient comblés par l’État, les contribuables, ou les deux à la fois.

Dans le cas de Paris 2024, une partie des dépassements (moindres à ce stade) ont été d’ores et déjà assumés par une augmentation de la part des sponsors et des partenaires (1,2 milliard d’euros), par une hausse des recettes de la billetterie et par le renoncement à la promesse de la gratuité des transports pendant la quinzaine olympique.

Les candidats ne se bousculent plus

En dehors des pays autoritaires (Russie avant la guerre en Ukraine, Chine), des pétromonarchies et de villes américaines fonctionnant sur fonds privés, les candidats ne se bousculent plus. Mises sous pression par des opinions publiques préoccupées par les enjeux climatiques et opposées à de nouvelles hausses de leur imposition, de nombreuses villes occidentales ont refusé de se porter candidates à l’organisation des Jeux de 2024, notamment Hambourg, Budapest, Boston ou Rome.

La sobriété affichée par Paris 2024 est permise par l’absence de compétition avec d’autres villes

Ces forfaits ont conduit le CIO à négocier directement avec les villes : Paris en 2024, Los Angeles en 2028 pour les Jeux d’été ; les Alpes françaises en 2030, Salt Lake City en 2034 et la Suisse en 2038 pour les Jeux d’hiver. La sobriété affichée par Paris 2024 est permise par l’absence de compétition avec d’autres villes ; ce choix reflète aussi une volonté de se conformer à l’air du temps. Le CIO lui-même a entamé un début de prise de conscience des enjeux environnementaux. Prise de conscience qu’on peine à discerner du côté des instances internationales qui gouvernent le football (Fifa et UEFA). La Coupe du monde 2030 se tiendra ainsi dans six pays sur trois continents : Uruguay, Argentine, Paraguay, Espagne, Portugal et Maroc. Et l’on imagine mal que celle de 2034 soit vertueuse si l’Arabie saoudite est désignée pour l’organiser.

Moitié moins de CO2

À Paris, la plupart des compétitions seront organisées dans des infrastructures existantes ou des installations provisoires. Les seules constructions ex nihilo sont situées en Seine-Saint-Denis : le village olympique, le village des médias, le centre aquatique de Saint-Denis et, sur la frontière avec Paris, l’Arena Porte de la Chapelle. De ce fait, les organisateurs estiment que les JO à Paris « brûleront » 1,5 million de tonnes d’émissions équivalent CO2, soit moitié moins qu’à Londres ou à Rio. L’empreinte carbone de Tokyo était de 2,4 millions de tonnes mais sans public. Quant à la Coupe du monde au Qatar, elle a battu tous les records du fait d’une climatisation à outrance et d’un faible parc hôtelier, ce qui a conduit de nombreux spectateurs à dormir dans des pays limitrophes et à multiplier les allers-retours en avion.

Pour atteindre la neutralité carbone, Paris 2024 annonce des plans de captation de ses émissions de CO2, des permis à polluer, des projets de reboisement au sujet desquels on peut être sceptique : aucun bilan scientifique sérieux n’a jamais été produit sur l’efficience des compensations carbone. Planter des arbres met un certain nombre d’années avant de produire des effets alors que la pollution des JO de Paris, c’est maintenant.

Un nécessaire examen de conscience

Quoi qu’il en soit, les Jeux de Paris constitueront un bon laboratoire pour savoir si des compétitions mondiales sont toujours possibles à l’heure du réchauffement climatique. À condition que des études scientifiques sérieuses et des évaluations indépendantes soient menées après la compétition.

Si l’on veut s’en tenir à une analyse climato-optimiste, on peut estimer que ces grandes compétitions sont l’occasion de réfléchir à des pistes nouvelles pour l’accueil, le développement des déplacements alternatifs, la conception d’infrastructures temporaires, le recours aux entreprises locales, etc. De la même manière que la compétition automobile, affreusement polluante, permet d’accélérer la recherche et les investissements en vue d’élaborer des moteurs moins polluants et les voitures électriques.

Mais si l’on estime, comme Jean-Marc Jancovici, que chaque humain ne devrait pas se déplacer plus de quatre fois en avion durant toute sa vie, on ne voit pas comment on pourrait maintenir des JO ou des Coupes du monde de foot. Un examen de conscience sera possible et nécessaire après les JO de Paris.

Les défis de Jeux « intra-muros »

Une ville olympique qui utilise l’existant plus qu’elle ne construit s’expose à un autre type de critiques. En dehors (grosso modo) de la Seine-Saint-Denis, de la Défense, de Versailles, de Saint-Quentin-en-Yvelines, de quelques villes de province et de Tahiti pour le surf, les Jeux vont se dérouler entre Bercy et le Trocadéro, les portes de Versailles et de Saint-Cloud.

Ce choix d’organiser les « plus beaux Jeux de l’histoire » dans l’une des capitales les plus petites et les plus denses au monde entraîne des défis d’un nouveau genre, bien différents de ceux que doivent relever les villes concentrant les compétitions dans des sites propres éloignés des centres-villes : cohabitation des habitants et des visiteurs dans les transports, sécurité des compétitions et, surtout, de la cérémonie d’ouverture sur la Seine…

Le cimetière des « éléphants blancs »

À quoi servent les JO ? La question se fait de plus en plus en plus pressante. Pas à gagner de l’argent – les exemples de JO équilibrés sur le plan budgétaire sont fort rares. À léguer un héritage matériel ? Il est certain que Paris 2024 promet que tout sera réutilisable ou démonté. Pas de cimetière des « éléphants blancs » en perspective, ces stades, gymnases, piscines qui n’ont servi que le temps des compétitions à Montréal, à Athènes, à Pékin ou à Rio.

Les événements sportifs prestigieux et médiatisés dopent la pratique sportive du pays organisateur

On a plus de certitudes concernant l’héritage immatériel. Les études montrent que les événements sportifs prestigieux et médiatisés dopent la pratique sportive du pays organisateur. Jusqu’à cinq ans après la compétition, le nombre de licenciés augmente de 10 à 25 %. Une étude récente du ministère des Sports estime en outre que 100 millions d’euros investis dans le sport permettent de réaliser 250 millions d’euros d’économies en matière de santé publique. Cette hausse de la pratique sportive a été constatée après les Jeux de Londres de 2012, même si l’on sait que des inégalités persistent, la pratique sportive étant directement liée à l’origine sociale.

Conversation avec PATRICE TRAPIER

 

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