François Hollande avait inventé la « présidence normale » – sans que ça lui porte vraiment chance. Marine Le Pen en aura-t-elle davantage avec sa propre entreprise de « normalisation » ? Depuis sa prise de contrôle du parti, il y a douze ans, la députée du Pas-de-Calais n’a cessé de repeindre la façade de l’organisation familiale. Deux fois battue au second tour de la présidentielle, progressant chaque fois dans les urnes, elle poursuit aujourd’hui la politique de « dédiabolisation », théorisée par Bruno Mégret en son temps, pour faire oublier les frasques de son père. À cet égard, la participation historique du RN à la marche nationale contre l’antisémitisme marque une étape très symbolique face à ce « verrou idéologique » – évoqué par Louis Aliot, vice-président du parti – qui lui barrait le chemin du pouvoir.

Près de la moitié des Français jugent aujourd’hui le parti de Marine Le Pen capable de gouverner

En sommes-nous déjà là ? Dans la récente enquête sur les « fractures françaises » publiée par l’institut Ipsos, le Rassemblement national semble seul en tout cas à surnager dans le bouillon d’un pays en colère. Près de la moitié des Français jugent aujourd’hui le parti de Marine Le Pen capable de gouverner, et 40 % estiment qu’il est proche de leurs préoccupations. Surtout, le parti d’extrême droite, très sage à l’Assemblée nationale, a réussi à se débarrasser du mistigri qui l’accompagnait depuis ses débuts, celui d’épouvantail de la République. Désormais, ce sont bien les Insoumis qui, selon cette même étude, sont perçus comme la plus grande menace contre la démocratie.

L'ancien parti de Jean-Marie Le Pen ne bouge guère, mais il aimante le pays vers lui

S’il a pris une place centrale dans le jeu politique, s’il a policé son discours et ses manières, le Rassemblement national n’a pourtant pas cédé grand-chose de sa radicalité originelle. Il continue de faire siffler les élites « nomades » du « mondialisme », autant qu’il cultive la xénophobie, l’autoritarisme et le culte du chef. Bref, l’ancien parti de Jean-Marie Le Pen ne bouge guère, mais il aimante le pays vers lui. À commencer par les élus de droite, qui rêvent encore de lui tailler des croupières en jouant la carte de l’immigration présentée comme un danger de civilisation. Quant aux forces de gauche, leur confusion et leur dispersion les rendent aujourd’hui incapables de faire entendre leurs arguments sur le pouvoir d’achat ou l’environnement, premières préoccupations des Français. Résultat : bercés de nostalgie et de ressentiment, 36 % de nos concitoyens souhaitent désormais vivre « dans la société que prône globalement » le RN. Aucun autre parti ne fait mieux. À ce rythme, ce n’est pas seulement une avenue vers l’arc républicain qui s’ouvre à Marine Le Pen. C’est un boulevard vers l’Élysée. 

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