Leela Jacinto

Pour s’informer sur les événements qui ont lieu à Gaza, et, plus généralement, sur le conflit israélo-palestinien, la plupart des gens se tournent vers des médias qui reflètent leurs opinions. Il est facile d’obtenir le traitement de l’actualité que l’on recherche, en fonction de nos sensibilités, en allant sur telle ou telle plateforme médiatique, tel ou tel réseau social. Sur ce sujet profondément clivant, les analyses antagonistes, et parfois caricaturales, se sont déployées de manière assez prévisible. La chaîne américaine Fox News est un bon exemple de ce phénomène. Pour des éclairages plus détaillés sur la région, je consulte plutôt la chaîne Al-Jazeera, en anglais, ou la BBC World Service, qui propose la couverture médiatique classique la plus objective, me semble-t-il, malgré les reproches qui lui ont été faits par rapport à son refus de qualifier le Hamas de « groupe terroriste ». Elle traite le conflit de manière équitable, donnant la parole aux Israéliens tout en rapportant autant que possible ce qui se passe à Gaza, malgré le faible nombre de journalistes sur place. Depuis l’attaque du 7 octobre, la couverture médiatique a évolué au regard des événements : elle a d’abord été nourrie de témoignages des proches des victimes israéliennes, puis, après le lancement de l’opération militaire contre la bande de Gaza, de ceux de civils gazaouis. Ensuite sont venues des informations relatives aux opérations humanitaires et au théâtre politique international…

« Un traitement plus critique du gouvernement israélien »

Entre 2000 et 2005, alors que je couvrais la seconde intifada (2000-2005) pour ABC News et d’autres médias, nous, journalistes, étions particulièrement précautionneux quant à la manière dont nous relations les faits, avec nuance. À l’époque, nous craignions d’être qualifiés d’« antisémites », le sujet était très épineux. Il l’est toujours aujourd’hui, mais il me semble que les principaux médias américains, notamment le New York Times ou le Washington Post, proposent un traitement plus critique de la situation, notamment à l’égard du gouvernement israélien. Ils interrogent les défaillances en matière de sécurité qui ont conduit à l’attaque du 7 octobre, l’ampleur de la réponse israélienne et ses conséquences, en particulier la mort de nombreux civils. Cela reflète, aussi, l’évolution de l’opinion publique, alors que des organisations américaines comme Jewish Voice for Peace (JVP) rencontrent à présent davantage de soutien. Dix-huit ans après la fin de la seconde Intifada, aucune réponse politique n’a été apportée, la solution à deux États n’a pas été poursuivie. La situation est dans une impasse, ce qui évidemment se reflète dans le traitement médiatique des événements.

En France, le débat sur l’antisémitisme qui accompagne le traitement médiatique du conflit est singulier et a des racines historiques profondes, liées en particulier à la période de la Collaboration des années 1940-1944. Une forme de culpabilité latente se ressent encore aujourd’hui. Elle fait écho, me semble-t-il, à la manière dont les médias allemands traitent du sujet. En Inde, où j’ai grandi, nous n’avions pas d’antécédents d’antisémitisme. C’est un phénomène très européen. Aussi, l’interdiction, sous prétexte de considérations sécuritaires, des manifestations « propalestiniennes » en France après le 7 octobre [levée par le Conseil d’État le 18 octobre] a nourri une impression de partialité, d’autant plus que les manifestations en soutien à Israël étaient autorisées, et qu’au même moment de grandes marches en soutien aux Gazaouis étaient organisées à Londres ou à New York.

 

Propos recueillis par EMMA FLACARD

 

Leneide Duarte-Plon

Je suis de très près ce conflit : on ne peut pas parler de « guerre », il n’y a pas de comparaison entre les deux parties. Lectrice du Monde et de Libération, je retrouve un équilibre dans le traitement de cette actualité par ces journaux. Je peux y lire des informations sur ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie, aussi bien qu’en Israël. Il en va de même chez Mediapart ou L’Humanité. Je regarde peu les chaînes télévisées, mais les analyses que proposent des chaînes d’information en continu comme BFMTV ou CNews penchent en faveur d’Israël. Il y a déjà eu toute une série de conflits touchant Gaza depuis 2008, et l’on retrouve chaque fois la même couverture médiatique et politique générale : les roquettes du Hamas ont toujours été la cause des bombardements israéliens à Gaza, quelle que soit leur violence. Israël apparaît toujours dans une position de légitime défense, ce qui lui donnerait tous les droits : bombarder des ambulances et des civils, utiliser du phosphore blanc... Deux réalités se font face, selon que l’on regarde la presse arabe ou occidentale.

« Israël apparaît toujours en position de légitime défense »

Au Brésil, les médias traitent globalement du conflit en s’alignant derrière les positions américaines et israéliennes, sauf la presse de gauche, comme Carta Capital et d’autres sites Internet.

Sensible à la justice et aux questions politiques – j’ai écrit deux livres sur la torture au Brésil –, je me suis particulièrement intéressée à la question palestinienne depuis mon arrivée en France, en 2001. J’ai réalisé plusieurs entretiens avec des historiens, comme Shlomo Sand ou Ilan Pappé, et des journalistes et intellectuels juifs progressistes, très critiques à l’égard de l’histoire de l’État d’Israël. J’ai récemment écrit un texte sur les dénonciations d’antisémitisme pour le site du RED et Fórum21, dans lequel j’ai repris, en le traduisant, le sous-titre du livre collectif Antisémitisme : l’intolérable chantage. Israël-Palestine : une affaire française ? (La Découverte, 2003). Chacune des contributions de cet ouvrage illustre comment, dès qu’Israël se trouve en difficulté dans des affrontements avec les territoires palestiniens, une campagne diplomatique est déclenchée pour dénoncer l’antisémitisme, afin que l’on détourne les yeux du sort des Gazaouis. L’antisémitisme existe, je ne le nie pas, mais cette campagne de dénonciation, orchestrée par le gouvernement israélien, ressemble à une forme de propagande.

On constate un « deux poids, deux mesures » entre la couverture médiatique occidentale de la guerre en Ukraine et celle du conflit actuel. Ce décalage se retrouve aussi au niveau des réponses politiques mises en œuvre par l’Occident. Contre la Russie ont été adoptés un blocus, des sanctions économiques… Aujourd’hui, Israël a tous les droits. Le reste du monde est témoin de ça, cela suscite de la colère.

 

Propos recueillis par E.Fl.

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !