« Aucun problème ne résiste à l’absence de solution. » S’il fallait résumer la politique européenne au Proche-Orient depuis deux décennies, cette formule d’Henri Queuille, ministre de la IIIe République, conviendrait parfaitement. Alors que les morts et l’horreur ont atteint des sommets ces derniers jours dans l’affrontement entre les Palestiniens et Israël, la diplomatie européenne et française ressemble à un disque rayé.

Comme à chaque nouvel embrasement, comme durant les guerres de Gaza et Jérusalem de 2008-2009, 2012, 2014 ou du printemps 2023, l’Union européenne et la France ont utilisé des éléments de langage similaires : Israël a le droit de se défendre et mérite toute notre solidarité ; puis ils ont exprimé, bien timidement, leurs inquiétudes sur le sort des civils palestiniens. Enfin, quand le calme sera revenu, ils publieront des communiqués pour affirmer leur attachement à « la solution à deux États », sans jamais préciser comment on pourrait y arriver, ce qui revient à se résigner à la prolongation de l’occupation et donc à la prochaine escalade.

C’est l’occupation qui engendre le terrorisme sur cette terre où vivent à peu près autant de Palestiniens que de Juifs israéliens, mais avec des droits bien différents

Car au lendemain de ce conflit encore plus dévastateur que les précédents, la réalité de base restera la même, celle que le général de Gaulle avait énoncée, avec une étonnante prescience, en novembre 1967, au lendemain de la défaite arabe : « Israël organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion et il s’y manifeste contre lui une résistance qu’il qualifie de terrorisme… » C’est l’occupation qui engendre le terrorisme sur cette terre où vivent à peu près autant de Palestiniens que de Juifs israéliens, mais avec des droits bien différents, ce qui a amené Amnesty International à parler d’apartheid.

Les présidents français qui ont succédé au général de Gaulle, au-delà de leur couleur politique, avaient pris en compte cette réalité pour chercher une issue politique et diplomatique. Valéry Giscard d’Estaing prit l’initiative de la « déclaration de Venise » du 13 juin 1980, dans laquelle les neuf pays qui constituaient alors la Communauté européenne définissaient les conditions de la paix : droit de tous les États de la région à vivre en paix et en sécurité ; droit à l’autodétermination des Palestiniens et négociations avec l’OLP (qu’Israël et les États-Unis qualifiaient alors de terroriste). L’affirmation forte de ces principes permit de faire bouger les lignes, même s’il fallut encore dix ans pour que Washington et Tel-Aviv s’y rallient.

La passivité n’est plus un choix car le conflit est une menace supplémentaire à l’ordre mondial

Depuis une quinzaine d’années, Paris et Bruxelles semblent avoir renoncé à toute ambition diplomatique, se contentant de maintenir sous perfusion financière une Autorité palestinienne moribonde et s’abstenant de toute mesure concrète qui pourrait pousser au retrait d’Israël des territoires palestiniens occupés – ce qui revient à entretenir les braises pour la prochaine explosion. Pourtant, les moyens d’agir existent. Dans une tribune publiée par le journal Le Monde le 14 octobre, Thomas Piketty rappelle que l’Europe, qui absorbe 35 % des exportations israéliennes (contre 30 % pour les États-Unis) pourrait utiliser « l’arme commerciale ». Quoi qu’il en soit, la passivité n’est plus un choix car le conflit est une menace supplémentaire à l’ordre mondial, non seulement parce qu’il creuse le fossé entre le Nord (notamment l’Europe) et le « Sud global » – où se manifeste une forte mobilisation en faveur des Palestiniens – mais aussi parce qu’il exacerbe les tensions à l’intérieur des sociétés européennes. 

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