Il y a un temps pour tout. Un temps pour les larmes et le deuil. Un temps pour reprendre ses esprits. Un temps court, pour agir, car il y a urgence. Un temps pour la guerre. Et après ? Que faire pour ne pas avoir à recommencer ? Pour vivre en paix, enfin ?

« Quand vous avez éliminé l’impossible, dit Sherlock Holmes, ce qui reste, quoiqu’improbable, doit être la vérité. » Ici, la vérité est la création d’un État unique et démocratique, offrant à ses populations des droits égaux.

Bien sûr, l’idée de voir deux États, l’un juif, l’autre palestinien, vivant en paix côte à côte, est séduisante. Mais elle est impossible. Souvenons-nous de l’année 2005, lorsqu’Israël s’est retiré de Gaza. Il s’agissait de déplacer 5 000 colons d’un territoire non biblique, sous l’égide d’un chef de gouvernement, Ariel Sharon, unanimement reconnu comme héros national. Ce retrait a créé en Israël un véritable traumatisme. J’ai encore l’image de colons s’agrippant aux meubles de leur maison, alors que les soldats de Tsahal luttaient pour les en détacher. Si l’on se réfère à ces mêmes critères, la situation aujourd’hui en Cisjordanie occupée est autrement plus problématique : 700 000 colons sont installés sur une terre biblique (la Judée et la Samarie), soutenus par un gouvernement dont le chef est totalement démonétisé. Comment les déplacer sans déclencher une guerre civile ? Quel homme politique israélien oserait ? Bien sûr, on peut imaginer des arrangements, des rocades de territoires, passer de 700 000 à 600 000, voire à 500 000, voire à 400 000… Cela ne changerait rien au traumatisme. Seule une solution à un État peut créer les conditions d’une paix juste et durable.

Et après ? Que faire pour ne pas avoir à recommencer ?

Je suis attristé de constater que les chancelleries occidentales mettent systématiquement en avant une solution à deux États, alors qu’elles n’y croient pas une seule seconde. Honteux moyen de se donner bonne conscience. Mon pays, la Suisse, est sur la liste.

Pour tout dire, la solution à un État existe dans les faits. L’ensemble du territoire est, de manière directe ou indirecte, sous contrôle israélien. Le problème est que cette réalité n’est pas démocratique. Les lois en Cisjordanie s’appliquent différemment selon que le justiciable est juif ou palestinien. Changer une telle situation sera ardu. Des problèmes épineux se posent. Comment garder le caractère juif d’Israël, ce pour quoi l’État a été créé ? Comment gérer équitablement la question du droit au retour ? Quel nom donner à cet État habité quasiment à parts égales par des populations juives et arabes ? Quelle structure imaginer pour une juste fiscalité entre régions ? On le voit, l’esquisse d’une réponse confédérale émerge, qui nécessitera une grande finesse d’analyse. Surtout, quelle que soit la solution retenue, impossible d’imaginer qu’elle n’imposera pas de douloureuses concessions de part et d’autre, si l’on ne veut pas qu’elle aboutisse à une construction obtenue à l’arraché et qui ne durera pas. Pour l’essentiel, la réponse est forcément dans les mains de la puissance forte, Israël. À elle de prendre ses responsabilités. Vis-à-vis de la question palestinienne, elle ne l’a pas toujours fait. J’étais en Israël au moment des élections de 2019. Cet enjeu crucial, central, ce cancer de la société israélienne, n’était abordé par personne. Même la gauche l’avait effacé de son agenda. (J’avais, à l’époque, écrit une chronique pour un grand quotidien français. Elle m’avait été refusée. Il est vrai que je l’avais intitulée « Les Palestiniens n’existent pas ».)

Les manifestations hebdomadaires témoignaient d’une formidable vitalité démocratique

Un air de vibrante démocratie a soufflé sur Israël face aux manœuvres du gouvernement visant à assécher les pouvoirs de la Cour suprême. Les manifestations hebdomadaires témoignaient d’une formidable vitalité démocratique. Mais je m’interroge : où étaient-ils donc, tous ces gens de bonne volonté, ces cinquante dernières années, pour s’opposer au problème de l’occupation ? Le 1er novembre dernier, Benjamin Netanyahou a été élu démocratiquement, alors que toutes les cartes étaient sur la table. On ne peut pas lui reprocher d’avoir caché son jeu. Pourquoi l’élire, alors ? À Israël, à son peuple fort et brillant, de faire son analyse. Aux diasporas, aussi, de l’y aider, plutôt que d’applaudir, comme souvent au fil des ans, aux actes de gouvernements douteux, préoccupés surtout d’éviter la prison à leur chef.

À l’automne 2014, peu après la guerre de Gaza, j’avais fait le voyage à Londres pour y rencontrer Frederik De Klerk, l’ancien président de l’Afrique du Sud qui avait fait la paix avec Nelson Mandela et permis la transition. Je souhaitais son conseil pour le lancement d’un projet, dans le cadre d’une de mes fondations. Ouvert à tous les étudiants des grandes universités d’Israël, celui-ci consistait à écrire une brève fiction, en lien avec « la situation », sous cette condition expresse : les étudiants israéliens juifs devaient, pour l’écrire, se mettre dans la peau d’un Israélien arabe. Et vice-versa. J’avais donné au projet ce titre, en anglais : In the Other’s Shoes. En français : Dans la peau de l’autre. « Ce que vous faites est exactement ce qu’il faut faire », m’avait dit mot pour mot M. De Klerk (j’avais noté ses paroles). « C’est exactement ce que nous avons fait avec Mandela. Se mettre dans la peau de l’autre. Si nous ne l’avions pas fait, nous n’aurions pas réussi. »

Trente-sept ans plus tôt, collé à l’écran de ma télévision, bouleversé, j’écoutais le discours du président égyptien Sadate à la Knesset, le Parlement israélien. Il avait eu ces mots, d’une portée biblique : « On ne peut pas bâtir son bonheur sur le malheur d’autrui. » S’il fallait trouver une règle d’or pour guider la recherche d’une solution au problème israélo-palestinien, la voilà.  

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