La première question que l’on pourrait se poser, selon moi, serait : « De quelles angoisses parle-t-on ? » Plus particulièrement, il faudrait commencer par faire la différence entre peur, effroi et angoisse. La peur a un objet. On a peur de quelqu’un ou de quelque chose, par exemple du retour de la pandémie ou d’une catastrophe climatique. L’effroi, c’est l’effraction de quelque chose auquel nous ne sommes pas préparés et que nous n’aurions pas pu imaginer, comme des avions qui attaquent les tours du World Trade Center le 11 septembre 2001. L’angoisse, elle, implique l’anticipation de quelque chose qui pourrait arriver mais qui n’est pas encore défini, c’est un climat, une atmosphère, quelque chose d’irreprésentable qui nous menace.

Aujourd’hui, avec les changements climatiques, la pandémie, la guerre, la crise énergétique, les menaces nucléaires ou encore la situation des femmes en Iran ou en Afghanistan, toutes ces dimensions – peur, angoisse et effroi – semblent se mêler, dévoilant une profonde détresse, comme lorsque l’on n’a plus rien à attendre de personne.

L'angoisse est un signal, le signal que quelque chose ne va pas, qu’il faut nous interroger sur ce qu’elle nous dit, et changer

Ces angoisses et ces peurs qui se multiplient sont-elles pour autant spécifiques à notre époque ? Ne pourrait-on pas dire, avec Freud, qu’elles sont inhérentes à la condition humaine, le résultat d’une lutte constante entre des pulsions de vie et des pulsions de mort, à l’œuvre chez l’humain et dans le monde ? Pourtant, il y a assurément quelque chose de spécifique à notre temps : un climat médiatique et des réseaux sociaux qui offrent une information immédiate, continue et confuse, qui répercutent le bruit et la fureur du monde en dehors de tout sens, nous rendant à la fois extraordinairement informés et plongés dans l’incertitude. Et la conscience de cette incertitude contribue à superposer de plus en plus de malaises intimes et collectifs, comme on l’a vu lors de la pandémie.

Comment, dès lors, lutter contre ces angoisses ? Il y a certes l’angoisse pétrifiante, sidérante, celle qui nous paralyse complètement, qui nous semble sans issue. Mais il y a aussi cette autre version, qu’on pourrait considérer comme une « angoisse créatrice », c’est-à-dire l’angoisse qui réveille, l’angoisse qui devient moteur. Il ne faut pas oublier que l’angoisse est un affect « qui ne trompe pas », comme le disait Lacan. C’est aussi un signal, le signal que quelque chose ne va pas, qu’il faut nous interroger sur ce qu’elle nous dit, et changer.

Reconnaître la pulsion de mort pour pouvoir la contrer

Aujourd’hui, on a certainement raison d’être angoissé. La question n’est donc pas tant : « Comment lutter contre nos angoisses ? » ou « Comment les supprimer ? » mais plutôt : « Qu’en faire ? Comment transformer une angoisse paralysante en une angoisse salvatrice ? » L’angoisse peut en effet devenir un enjeu de liberté. Il s’agit de se servir de l’angoisse pour ouvrir des voies nouvelles. On pourrait dire que le pire de ce vers quoi l’angoisse peut mener, c’est l’effacement, le déni du problème qui est à l’origine de l’angoisse et, ultimement, la soumission, la servitude volontaire. Il nous faut donc aujourd’hui écouter ce que nous disent nos angoisses pour en faire une source de résistance, de révolte, un moteur d’opposition, une raison de dire non. Reconnaître la pulsion de mort pour pouvoir la contrer. Et chacun est engagé dans ce choix entre les forces de destruction et les forces de vie. 

Conversation avec LOU HELIOT

 

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