Nous vivons une époque compliquée, qui ne se simplifie pas avec l’arrivée incessante de nouveaux mots anglais, plus ou moins bousculés lors de leur traversée de l’Atlantique. Ainsi, à partir de l’adjectif woke, terme d’argot noir américain signifiant « éveillé », les Français ont créé le substantif wokisme. Cet enrichissement de la langue a rendu le débat politico-culturel plus subtil : on peut s’enorgueillir d’être woke et se sentir insulté si l’on est traité de wokiste. Le philosophe Denis Kambouchner ne nous a pas complètement éclairés en expliquant qu’il n’existe pas de « mouvement wokiste », mais seulement un « mouvement woke ».

Restons calmes et essayons de comprendre. Quand Martin Luther King demandait aux militants des droits civiques de rester éveillés, c’est-à-dire conscients et vigilants, c’était pour lutter contre les discriminations raciales. L’usage du mot woke s’est ensuite élargi pour dénoncer d’autres formes d’inégalités, concernant les immigrés, les femmes, les homosexuels… En France, cela s’est traduit par toutes sortes d’initiatives, parfois excessives, voire ridicules. Les wokistes sont accusés de promouvoir un nouveau moralisme, d’instituer une police de la pensée et de faire le lit du communautarisme. Ils dénoncent à leur tour un anti-wokisme primaire, « une arme de disqualification massive » de leurs combats. Accusé·e de wokisme, un·e militant·e antiraciste ou féministe est tenté·e de traiter l’agresseu·r·se de fasciste.

Pour éclairer tout à fait le sujet, peut-être faut-il reprendre les choses à l’envers, en revenant aux États-Unis et à la langue anglaise. Woke signifiant « éveillé », son antonyme ne saurait être qu’endormi, donc sleepy. Mais le match présidentiel en cours risque de nous égarer un peu, car si Trump assimile son adversaire au mouvement woke, il l’affuble aussi du sobriquet de Sleepy Joe. Biden serait ainsi un éveillé endormi, ou alors – et c’est plus probable – un endormi éveillé. 

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