Qui utilise TikTok ?

Il s’agit en grande partie de jeunes adolescents, des collégiens ou des lycéens. En théorie, la limite d’âge pour s’inscrire sur TikTok est de 13 ans avec l’accord des parents et de 15 ans sans leur accord – c’est ce que prévoit le Règlement général sur la protection des données (RGPD) en France. Dans les faits, le contrôle est très laxiste. Bon nombre de jeunes adolescents parviennent ainsi à créer des comptes sans l’autorisation de leurs parents, en falsifiant leur date de naissance. On sait également que de nombreux enfants – dès 6 ou 7 ans ! – sont présents sur ce réseau. C’est inquiétant, car ils ne sont pas capables de créer un compte tout seul. Cela signifie que ce sont les parents qui ont contourné la réglementation pour les inscrire qui n’ont absolument pas leur place sur cette plateforme.

Quel attrait particulier exerce Tiktok sur les adolescents par rapport aux autres réseaux ?

TikTok fait partie, avec Snapchat et Instagram, des trois réseaux les plus populaires chez les collégiens et les lycéens. Il a en particulier connu un essor sans précédent depuis trois ans, c’est-à-dire depuis le Covid et les confinements, quand les autres plateformes ont plutôt stagné. Cette popularité a plusieurs raisons.

D’abord, la facilité d’utilisation : sur TikTok, ce sont des vidéos courtes qui défilent automatiquement, et qui sont très simples à publier. Il est aisé de se mettre en scène. Ensuite, l’aspect « défi » : une grande partie du contenu de TikTok consiste en des vidéos de danses, de chorégraphies sur les mêmes morceaux de musique, reproduites par des milliers de personnes différentes. Cela vient répondre au besoin adolescent de se mettre au défi, de montrer qu’on est « cap ».

« Il y a, à l’adolescence, l’enjeu de se comparer aux autres, de prouver qu’on est dans le coup »

Enfin, il y a l’aspect communauté. On va pouvoir interagir avec les stars qu’on admire, échanger avec d’autres fans, mais aussi se tenir au courant de ce qui se passe et en discuter ensuite à l’école avec nos amis. Il y a, à l’adolescence, l’enjeu de se comparer aux autres, de montrer qu’on suit les tendances, de prouver qu’on est dans le coup. TikTok décuple cela. Tout ce qui s’y joue est donc à l’image d’une cour de récréation. Mais l’échelle est démesurée, puisque les vidéos sont potentiellement visibles dans le monde entier.

Lors de vos recherches cliniques, avez-vous pu observer un impact psychologique particulier de l’utilisation de TikTok ?

Difficile de dire si l’usage de TikTok a engendré des souffrances particulières. Bien sûr, comme sur les autres réseaux sociaux, le fait d’être confronté quotidiennement à des images retouchées, à des mises en scène de vie « parfaite » et à des idéaux totalement inatteignables peut faire beaucoup de mal, surtout lorsque l’on est dans les tumultes de l’adolescence et que l’identité est encore en construction. Quand on a en plus une fragilité psychologique ou psychiatrique, cela peut devenir particulièrement violent.

Toutefois, dès que les jeunes postent eux-mêmes sur TikTok et sont amenés à modifier leur propre image, à utiliser des filtres, ils comprennent que les images qu’ils regardent sont, elles aussi, bien loin de la réalité.

Y a-t-il un effet avéré de TikTok sur la capacité de concentration ? L’application favorise-t-elle de potentiels troubles de l’attention ?

Pour l’instant, les études ne font pas consensus. En l’état actuel de la recherche scientifique, il est difficile d’affirmer l’existence d’une corrélation entre l’usage de TikTok et des difficultés d’attention, car de nombreux autres critères entrent en compte.

Toutefois, comme dans le cas d’autres réseaux ou applications, il est évident que l’attention portée à l’activité en cours est parasitée par les notifications.

Que faire quand un ado passe trop de temps sur TikTok ?

Il faut prendre la question différemment, et se demander pourquoi il y va autant. On a pu observer que des ados qui ne vont pas bien ont tendance à passer beaucoup trop de temps sur ce réseau, souvent au détriment de toute autre activité sociale, parce qu’il constitue pour eux une sorte de refuge, un endroit où l’on a l’impression de contrôler son image et de faire partie d’un groupe. Quand le réseau social devient une activité complètement solitaire, qu’on ne partage pas avec les amis de la vie réelle, c’est un marqueur important. Dans ces cas-là, l’usage de TikTok est plus un symptôme qu’une cause : c’est souvent le signe que cet enfant est en détresse, qu’il subit du harcèlement, qu’il a une situation familiale difficile, etc. C’est pourquoi je déconseille d’interdire totalement les réseaux sociaux ou le téléphone aux ados en cas d’utilisation excessive. Ce n’est pas cela le problème, les causes sont à chercher bien en amont !

Quel message adressez-vous aux parents ?

Un des points sur lesquels il faut être vigilant, c’est le caractère non neutre de l’algorithme et des contenus auxquels il va exposer les utilisateurs. C’est-à-dire que si l’on regarde une ou deux vidéos d’un créateur qui parle d’un certain sujet, ou qui défend certaines valeurs – au hasard, une vision du monde très machiste –, l’algorithme va nous proposer toujours plus de vidéos similaires. Pour un adolescent en pleine construction identitaire, qui se cherche des modèles, cela peut devenir problématique. C’est pourquoi il est très important de maintenir la communication, d’essayer de s’intéresser à ce que fait votre enfant sur TikTok et aux stars qu’il aime, pour l’aider à prendre un peu de recul et à exercer son esprit critique.

 

Propos recueillis par LOU HÉLIOT

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