Où va l’Afrique ? Répondre à cette question renvoie à ce constat ancien tiré par René Dumont dans son fameux livre L’Afrique noire est mal partie (1962). La série de putschs militaires survenus dans l’ancien empire français témoigne à l’évidence de la défiance profonde entretenue par les ex-colonies du continent envers le pouvoir blanc incarné par Paris. Niger, Mali, Gabon, Burkina Faso, Guinée (passée dès 1958 sous influence soviétique) : ces pays semblent se libérer une nouvelle fois, à travers des actions militaires plus ou moins violentes, de la tutelle pesante, souvent maladroite, et toujours contestée, d’un système longtemps caractérisé par ce mot-valise : la Françafrique.

En menant intelligemment la politique de son histoire et de sa géographie, sans doute la France aurait-elle pu, à l’instar des Britanniques au Kenya ou au Nigeria, conserver une position enviable, fondée sur une véritable indépendance et un respect mutuel. Mais, si la Grande-Bretagne n’eut jamais à l’esprit de faire de ses sujets africains de bons Anglais (elle eut d’autres travers), la France développa très tôt un projet colonial total visant à une véritable acculturation historique : de Dakar à Bamako, il fallait apprendre « nos ancêtres les Gaulois » sans questionner ce que signifiait cette généalogie douteuse. Il n’était pas question qu’un Africain ressemble à autre chose qu’à un Français. Et si l’Afrique, devenue indépendante, voulait garder la considération de l’ancienne puissance coloniale, elle se devait d’adopter ses pratiques politiques.

En s’obstinant à se poser en gendarme de l’Afrique, la France a perdu son crédit auprès de ses alliés historiques. 

De ce point de vue, le discours de La Baule sur la prime à la démocratie, prononcé par François Mitterrand en juin 1990, peu après la chute du mur de Berlin, fut à la fois une incitation positive et une occasion manquée : incitation au multipartisme ; occasion manquée de construire un lien économique renouvelé avec les anciennes colonies. En instaurant une conditionnalité démocratique à son soutien, Paris sous-estima l’envie des anciens pays dits « du champ » (francophone) de se tourner vers d’autres partenaires moins donneurs de leçons. C’est ainsi que la Chine – on parle désormais de Chinafrique –fit une percée considérable sur le continent, y construisant des ports et des aéroports, des ponts et des (auto)routes. Pékin devint ainsi, avec l’Europe, son premier partenaire commercial.

Aux intérêts chinois sont venus depuis s’ajouter ceux de la Russie, de la Turquie et des États-Unis, dans un chamboule-tout géostratégique aux ressorts souvent opaques. En s’obstinant à se poser en gendarme de l’Afrique, la France a perdu son crédit auprès de ses alliés historiques. Face à l’échec de l’idée démocratique, le continent n’aurait-il le choix qu’entre le djihadisme et les coups de force militaires ? 

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