Le 20 novembre 2019, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, un collectif artistique et féministe baptisé LasTesis interprète Un violador en tu camino – en français, « Un violeur sur ton chemin » – sur l’une des principales places de Valparaíso, capitale officieuse chilienne des arts de rue. Une vingtaine de militantes, les yeux bandés de tissu noir, chantent en chœur contre la violence du patriarcat. Aucun symbole n’a été négligé. Le titre de leur chant détourne l’hymne des forces de l’ordre du Chili – Un ami sur ton chemin – et dénonce au passage le sexisme du slogan. La performance de LasTesis, à l’image des militantes des Pussy Riot avec qui elles se sont déjà associées, va droit au but. « Le patriarcat est un juge qui nous juge d’être nées, entonnent les militantes chiliennes. Et notre punition, c’est la violence que tu ne vois pas. Les féminicides, l’impunité des assassins, la disparition, le viol […]. L’État oppresseur est un macho violeur. »

Victimes de viols et d’autres tortures sexuelles sous la dictature de Pinochet, elles refusent de subir encore, trente ans après, les conséquences d’une culture profondément machiste.

Cet événement s’inscrit dans le contexte particulier de l’estallido social, la plus grande contestation populaire qu’ait connue le Chili depuis le retour à la démocratie, en 1989. Si cette révolte contre les inégalités se prépare depuis des décennies, c’est une série de déclarations malencontreuses de la part de ministres d’État et l’augmentation du prix du ticket de métro qui mettent le feu aux poudres en 2019. Dans les rues du pays, les voix des femmes résonnent comme jamais. Victimes de viols et d’autres tortures sexuelles sous la dictature de Pinochet, elles refusent de subir encore, trente ans après, les conséquences d’une culture profondément machiste.

Ce qui ne devait être qu’un happening local a rapidement pris une tournure internationale. Réinterprété dans de nombreuses langues, l’hymne de LasTesis a trouvé un écho dans les rues de Tunis, de Madrid, de Paris, de Bristol, de Lisbonne, de Montréal, de Berlin… et jusque dans les rangs du parlement de Turquie.

En 2022, une ébauche de nouvelle constitution, favorable aux droits des femmes et plus particulièrement à l’avortement, a finalement été rejetée lors d’un référendum par la population chilienne

Localement, les Chiliennes n’ont pas crié leur colère dans le vide. En juillet 2021, le pays a fait la une de l’actualité mondiale lorsque l’Assemblée constituante, chargée de rédiger une nouvelle constitution qui consacrerait l’égalité des sexes et remplacerait celle adoptée en 1980 sous le général Pinochet, s’est choisi comme présidente Elisa Loncón, une indigène du peuple mapuche, la principale ethnie au Chili. Le symbole est grand : les femmes des groupes autochtones n’avaient jusque-là jamais bénéficié des progrès en matière de droits des femmes. L’élection d’Elisa Loncón a mis fin à une stigmatisation séculaire en matière d’accès des femmes aux postes de haute représentation, mais aussi d’exclusion plus générale du peuple mapuche par l’État chilien.

 Les féministes chiliennes ne cessent de le clamer : tourner la page de la dictature ne peut se faire sans l’égalité des genres. « Sans féminisme, il n’y a pas de démocratie », déclarait déjà, en 1976, la sociologue, politologue et activiste féministe chilienne Julieta Kirkwood. C’est ce message-là que LasTesis entend faire passer au monde entier. En 2022, une ébauche de nouvelle constitution, favorable aux droits des femmes et plus particulièrement à l’avortement, a finalement été rejetée lors d’un référendum par la population chilienne – un véritable retour de bâton, triste lot commun pour les mouvements féministes. Cinquante ans après le coup d’État de Pinochet, ceux-ci continuent pourtant de lutter fermement pour la démocratie et contre le patriarcat, deux combats que leurs militantes considèrent comme indissociables. 

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