Emprisonné huit jours en novembre 1973, Roberto Bolaño ne doit sa libération qu’à la chance : l’intervention de deux anciens camarades de lycée devenus détectives. Dans ses romans tragiques et grotesques, il représentera une génération de jeunes chiens romantiques à la dérive, confrontés à la violence politique. 

Je me suis abandonné, je l’ai pris en marche et je n’ai jamais su
vers où il aurait pu m’entraîner. La peur m’emplissait,
mes entrailles se sont défaites et ma tête bourdonnait :
je crois que c’était l’air froid des morts.
Je ne sais pas. Je me suis abandonné, j’ai pensé que c’était dommage
de finir si vite, mais d’un autre côté
j’ai entendu cet appel mystérieux et persuasif.
On l’entend ou pas, et moi je l’ai entendu
et je me suis presque mis à pleurer : un bruit terrible,
né dans l’air et dans la mer.
Un écu et une épée. Alors,
malgré la peur, je me suis abandonné, j’ai collé ma joue
à la joue de la mort.
Et il m’a été impossible de fermer les yeux et ne pas voir
cet étrange spectacle, étrange et lent,
et pourtant encastré dans une réalité effrénée :
des milliers de jeunes gens comme moi, glabres
ou barbus, mais latino-américains tous,
joue contre joue avec la mort.

Les Chiens romantiques, traduit de l’espagnol par Robert Amutio © Christian Bourgois éditeur, 2012

 

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