Dans leur essai Une histoire du conflit politique, vaste somme qui compile plus de deux siècles d’histoire électorale, les économistes Julia Cagé et Thomas Piketty se penchent sur les motivations du vote. Et leurs conclusions sont éloquentes : dans une France qu’on dit obsédée par les questions identitaires, « archipelisée » par ses multiples chapelles, religieuses ou culturelles, c’est bien encore le vote de classe qui formerait le principal déterminant. Et pas n’importe quel type de classe : la « classe géosociale », qui associe selon eux le niveau de revenus à la localisation sur le territoire. Un concept pertinent pour comprendre la tripartition de l’électorat français, dès lors que le vote des classes populaires se divise entre banlieues et métropoles pour la gauche, et bourgs et villages pour l’extrême droite, laissant ainsi le pouvoir aux élites. Et les deux auteurs de conclure que la réduction des inégalités sociales doit redevenir le moteur politique de la gauche, si elle souhaite réconcilier ce peuple aujourd’hui fracturé et prétendre au pouvoir.

« La gauche n’arrive jamais au pouvoir dans une société gelée, en état de glaciation, assume-t-il. Il faut qu’il y ait de la chaleur, comme une espérance dans l’air. »

Ces analyses ne manqueront pas d’apporter de l’eau au moulin de François Ruffin, lui qui insiste depuis longtemps sur le primat de la question sociale par rapport aux combats identitaires – quitte, du reste, à se faire taper sur les doigts par ses camarades. Il s’en explique d’ailleurs, comme sur bien d’autres questions, dans l’entretien-fleuve qu’il nous a accordé. Deux heures de conversation à bâtons rompus, au cours desquelles le député de la Somme revient sur l’histoire récente des classes populaires, les enjeux de la crise climatique ou la nécessité de refonder un État stratège. Mais il n’est jamais aussi volubile que lorsqu’il évoque ses figures de prédilection, les invisibles de la nation : caristes, auxiliaires de vie, ouvriers du BTP ou caissières de supermarché. Avec un mantra, le travail comme socle du commun, et un objectif déclaré : « lever les entraves au bonheur », où qu’elles soient.

En creux, cet admirateur déclaré de Jaurès y développe sa singularité, notamment vis-à-vis de la direction des Insoumis, dont il regrette le ton trop radical. Mais aussi sa volonté de rassembler les différentes composantes d’une gauche qu’il croit idéologiquement centrale au sein de la population. « La gauche n’arrive jamais au pouvoir dans une société gelée, en état de glaciation, assume-t-il. Il faut qu’il y ait de la chaleur, comme une espérance dans l’air. » Reste à savoir si c’est ce que demande le peuple. 

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