Les experts de la division de la population des Nations unies ont publié, au mois de juillet, des projections de population, comme ils le font tous les deux ou trois ans. Selon leur rapport, la population africaine, qui s’élevait à 1,4 milliard d’habitants mi-2022, pourrait atteindre 2,5 milliards en 2050, et 3,9 milliards en 2100. L’Afrique porterait ainsi plus d’un tiers de la population de la planète, estimée à 10,4 milliards d’habitants. D’après ces projections, il y aurait en 2100 trois pays africains dans la liste des dix pays les plus peuplés du monde : le Nigeria, la République démocratique du Congo et l’Éthiopie, alors que seul le premier en fait actuellement partie.

Les projections de population sont des outils de planification fondamentaux pour les États, tout comme les statistiques sociodémographiques. Savoir où vivent les habitants, quelles sont leurs caractéristiques, comme l’âge et le sexe, et projeter l’évolution de ces populations permet d’anticiper les besoins en services publics. Il est donc intéressant d’en produire régulièrement, notamment à l’échelle locale.

En Afrique, imaginer à quoi ressemblera la population dans le futur peut s’avérer plus délicat qu’ailleurs

Néanmoins, il est indispensable de rappeler que les résultats de toute projection sont à relativiser, car plus celle-ci s’étire dans le temps, plus les marges d’erreur sont importantes. Cette année, les Nations unies ont d’ailleurs fait preuve d’une extrême prudence dans l’exposé de leurs résultats globaux, mettant surtout en avant l’année 2050. Selon l’ONU, il y a 95 % de chances que la population de la planète, qui va bientôt atteindre les 8 milliards d’humains, soit en 2100 comprise entre 8,9 milliards à 12,4 milliards. Ainsi, cela signifie que l’on peut affirmer avec une très grande probabilité que la population va croître de 2 milliards... ou peut-être seulement de la moitié... ou peut-être du double ! Même si dans l’état actuel des connaissances, c’est la valeur centrale qui demeure la plus probable, il est important de nuancer les interprétations.

En Afrique, tout particulièrement, imaginer à quoi ressemblera la population dans le futur peut s’avérer plus délicat qu’ailleurs. La croissance est indéniable, mais à quel rythme et avec quelles transformations ? Les tendances actuelles et passées montrent une grande diversité dans les transitions démographiques. Dans certains pays, les effectifs de la population ne sont pas connus avec précision aujourd’hui. Selon les pays et les époques, la fréquence des recensements varie. Un recensement coûte cher, demande des moyens humains, une grande organisation et, dans certains cas, est voué à rester partiel, les zones en conflit ne pouvant être que difficilement explorées par les agents recenseurs. Ainsi, lorsque les Nations unies estiment, à la mi-2022, la population de la République démocratique du Congo à 99 millions d’habitants, il s’agit d’une projection établie à partir du dernier recensement en date, celui de 1984, soit il y a près de quarante ans ! Lorsque la RDC aura effectué un nouveau recensement, il est probable que les estimations soient revues et corrigées, et que les projections s’en trouvent d’autant modifiées.

Le recensement régulier des populations est en partie une question de volonté politique

D’autres pays, comme le Kenya, parviennent cependant à réaliser leurs recensements de manière régulière. Dans ce pays d’Afrique de l’Est, le dernier recensement en date remonte à 2019. Au Burkina Faso, malgré l’insécurité prégnante dans certaines parties du pays, l’institut de statistiques national a mené à bien le recensement de 2019, couvrant 95 % du territoire. Le recensement est en partie le résultat d’une volonté politique.

Par ailleurs, des épisodes comme la pandémie de Covid-19 ou la guerre en Ukraine nous rappellent que des événements brutaux pourraient toujours venir troubler les projections. Il est impossible d’anticiper les catastrophes, même si certaines pourraient influer sur la natalité ou la mortalité de pays entiers et, bien évidemment, sur les mouvements de population. À l’inverse, un phénomène dont nous sommes certains qu’il est en cours, à savoir le réchauffement climatique, pourrait ne pas provoquer les changements démographiques prévus par certains dans les pays du Nord, inquiets à l’idée d’un potentiel exode depuis l’Afrique jusqu’à l’Europe.

La plupart des flux de migration ont lieu à l’intérieur même des pays ou des continents

Démontons ici quelques idées reçues en rappelant d’abord que la plupart des flux de migration ont lieu à l’intérieur même des pays ou des continents. Il s’agit de migrations internes. On sait, grâce aux enquêtes menées lors d’événements passés, que lorsqu’une catastrophe se produit, les migrations sont principalement de courte distance et de courte durée. Rares sont ceux qui ont les moyens de partir. Les habitants essaient en général de garder un pied là où se trouvent leurs moyens de subsistance, leurs biens, leurs connaissances. A priori, les personnes impactées par le climat sont avant tout celles qui ont besoin d’avoir accès à leurs terres. Elles ne peuvent pas se permettre de tout quitter du jour au lendemain.

Par ailleurs, les enquêtes montrent que les populations font preuve d’une grande plasticité face aux transformations progressives de l’environnement. Au Kenya, dans la région de Kisii, j’ai pu observer ce genre de mécanismes d’adaptation se mettre en place. De longue date, face à des risques multiples (météorologiques, économiques, politiques), la population a diversifié ses activités. Les parcelles agricoles sont délimitées en lanières, allant du sommet jusqu’au pied d’une colline, ce qui permet d’entretenir des cultures aux exigences agroécologiques différentes. En outre, la plupart des ménages ont également développé des activités non agricoles, ainsi qu’une production agricole pour le commerce, ce qui apporte un supplément important aux cultures vivrières.

Une autre idée reçue sur l’Afrique concerne sa fécondité, qui n’est plus si élevée qu’on peut le penser. Entre 1991 et 2022, le taux de fécondité du continent africain est passé de 6,1 à 4,2 enfants par femme. Ce chiffre cache du reste une très grande diversité démographique. Pour cette raison, il est assez peu pertinent de parler de l’Afrique en général. Il existe des Afriques, au pluriel. Si au Niger – actuellement le pays au plus haut taux de fécondité au monde – celui-ci s’élève à 6,7 enfants par femme, d’autres pays africains ont parfaitement accompli leur transition démographique, et ce depuis longtemps. C’est par exemple le cas de la Tunisie, avec 2,1 enfants par femme, un taux qui se rapproche de celui de la France (1,8). De manière globale, au Maghreb, la fécondité est passée d’environ 7 à 2 en une trentaine d’années, à la fin du siècle dernier. Ce résultat est le fruit de la situation économique particulière de ces pays et de leur développement social et sanitaire.

La fécondité est en baisse partout sur le continent, mais à des rythmes différents selon les pays

Globalement, sur le continent africain, la fécondité est en baisse partout, même au Niger, mais à des rythmes différents en fonction des pays. En comparaison de celle qu’a connue l’Europe, la baisse de la fécondité en Afrique est plutôt très rapide. En une quarantaine d’années (de la fin des années 1970 à aujourd’hui), le nombre d’enfants par femme est passé en Côte d’Ivoire de près de 8 à légèrement plus de 4 ; au Kenya de plus de 8 à légèrement plus de 3, alors même qu’il a fallu plus de cent ans à la France pour passer de 5 à 3 enfants par femme.

Malgré ces baisses spectaculaires de la fécondité, l’Afrique va néanmoins continuer de croître dans les décennies à venir, grâce aux progrès encore possibles dans le domaine de la santé autant que dans celui de la fécondité, qui se maintient au-dessus du seuil de renouvellement des populations (2,1 enfants par femme). Même si des politiques de réduction de la natalité étaient mises en place rapidement et efficacement, les naissances continueraient d’être nombreuses dans les vingt ou trente ans à venir du fait du nombre de femmes en âge de procréer. C’est ce qu’on appelle l’inertie démographique.

Un dernier point, enfin, au sujet de l’impact environnemental de la croissance démographique : la croissance de la population en Afrique a-t-elle des conséquences néfastes sur la biodiversité du continent ? La réponse n’est pas si simple qu’on pourrait le croire. Prenons l’exemple de la réserve forestière de Bugoma, dans l’ouest de l’Ouganda. À l’issue de la guerre civile, en 1986, la forêt était assez dégradée et les terres environnantes très peu peuplées. Cette région a connu une croissance démographique extrêmement forte au cours des dernières décennies. On a pu constater grâce aux images par satellite que, depuis le retour à la paix, le couvert forestier s’était en réalité renforcé de manière globale, en lien avec la mise en œuvre plus stricte des politiques de protection de l’environnement. Par ailleurs, il est vrai que là où la population a beaucoup augmenté, les arbres ont dans un premier temps presque entièrement disparu au profit des champs et des habitations, mais, depuis peu, une reprise est visible. Rappelons que la sécurité foncière est fondamentale pour permettre aux habitants de développer des cultures de long terme, comme les arbres. Cet exemple met en exergue une fois de plus la dimension politique de la bonne gestion de l’accroissement de la population.

La croissance démographique du continent africain va donc continuer et, en 2050, un quart de la population mondiale vivra en Afrique. Aujourd’hui, la question n’est pas tant de savoir comment limiter ce phénomène, mais de l’accompagner et d’en faire un atout. C’est une question éminemment politique. 

Conversation avec MANON PAULIC

 

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