Selon un récent sondage, si un nouveau référendum sur le Brexit devait avoir lieu aujourd’hui, au moins 20 % de ceux qui avaient opté pour le maintien dans l’Union européenne voteraient en faveur du départ. Pareille volte-face assurerait une victoire écrasante au camp du retrait qui avait recueilli 52 % des suffrages lors de la consultation européenne du 23 juin 2016.

Certes, le succès de la campagne de vaccination contre le Covid, en contraste avec la lenteur du processus de la Commission européenne, a joué un rôle clé dans ce revirement d’un grand nombre de Remainers. En permettant au royaume de passer commande en toute liberté des doses nécessaires, le choix du Royaume-Uni de redevenir maître de sa destinée a été payant.

Loin d’être catastrophique comme l’avaient prédit les opposants au largage des amarres, le retour de la souveraineté nationale a permis au pays d’Elizabeth II de se forger un nouveau destin.

Plateforme offshore aux portes du Vieux Continent, résilience étonnante de l’économie, immigration à la carte et consolidation du soft power, renforcement de la démocratie… N’en déplaise aux Vingt-Sept, tout indique que le Royaume-Uni est bien parti pour gagner la bataille du Brexit !

Ainsi, bien qu’Amsterdam, Paris et Francfort aient pris des parts de marché à la City dans certains secteurs (actions européennes, gestion de patrimoine…), la place financière londonienne demeure en tête du hit-parade européen, tout en talonnant New York pour l’ultime marche du pinacle. Sans choisir le retour à une régulation douce (le fameux scénario d’un Singapour-sur-Tamise) en vigueur avant la crise financière, Londres a rendu son industrie financière plus efficiente et plus réactive pour maintenir sa suprématie après le 31 janvier 2020.

Même optimisme sur le plan macroéconomique. Malgré les nouveaux obstacles douaniers avec l’UE, premier partenaire commercial, et les problèmes causés par le divorce aux chaînes d’approvisionnement, l’économie britannique est restée d’une étonnante résilience.

Une reprise de la croissance est à l’ordre du jour, malgré le Covid. L’immobilier et la consommation, les deux mamelles de l’activité, progressent. La faiblesse de la livre sterling depuis le référendum a favorisé les exportations sans provoquer de poussée inflationniste due à un renchérissement des importations. Le pays connaît de facto le plein-emploi. Et les investisseurs étrangers, spécifiquement la high-tech, les data et les sciences de la vie, n’ont pas décampé sous des cieux plus cléments, au contraire. Les atouts que sont les attraits de la langue anglaise, le droit jurisprudentiel, l’excellence des universités et un marché du travail déréglementé ont primé.

La sortie de l’UE a créé des opportunités réelles de signature d’accords commerciaux avec les pays émergents dans le cadre du Global Britain (la Grande-Bretagne mondiale) hors de l’Union européenne, mais tournée vers le reste du monde, notamment le Commonwealth, la grande famille d’outre-mer sacrifiée pendant plus de quatre décennies sur l’autel de l’adhésion à l’UE.

En outre, le nouveau système d’immigration « à points » mis en place post-Brexit a fait ses preuves. Alors que le nombre d’immigrés peu ou pas qualifiés originaires de l’UE a reculé, le Royaume-Uni a facilité l’octroi de visas aux professionnels, en particulier dans les domaines d’avenir à haute valeur ajoutée. Au passage, le soft power, le nouveau paradigme de la puissance de l’influence immatérielle, un point fort britannique, s’en est trouvé renforcé.

L’un des arguments des Remainers est que le Brexit allait creuser les inégalités sociales, économiques ou régionales dans une société profondément darwinienne où prévaut la loi du plus fort. Lors de son triomphe électoral du 12 décembre 2019, le Premier ministre conservateur Boris Johnson a capturé les bastions travaillistes du Nord et des Midlands en promettant la réalisation du Brexit, chère au pays profond eurosceptique. Et le chantre du Brexit s’est engagé à augmenter les dépenses de l’État en vue de réduire les disparités entre les zones industrielles septentrionales en difficulté et le Sud prospère des services.

Même Margaret Thatcher, croisée de la petite classe moyenne au pouvoir entre 1979 et 1990, n’avait pu accomplir la gageure de métamorphoser à ce point le Parti conservateur. Sous la houlette de Johnson, de sudiste, classieuse et pro-européenne, la formation est devenue nordiste, populaire et europhobe, tout en gardant son électorat traditionnel, patricien et rural.

Sur le plan politique, enfin, le retour à la souveraineté a renforcé l’une des plus vieilles démocraties au monde.

Aux yeux de ses partisans, le Brexit reflète le respect de la volonté populaire exprimée dans les urnes. Albion peut être fière de ne pas avoir fait subir à ses électeurs le sort réservé à ceux de l’Eire en 2002. Après le double refus du traité de Nice et de celui de Lisbonne, les Irlandais avaient été priés par Bruxelles de revoter, mais cette fois dans la bonne direction. Sans parler de la France, qui a tout simplement ignoré le « non » au projet de traité constitutionnel lors du référendum de 2005.

Comme l’explique l’historien pro-Brexit Robert Tombs, « le vote en faveur du Brexit et ses retombées sont fondamentalement un vote de confiance dans les institutions démocratiques nationales ».

À écouter les anti-européens, Bruxelles violait l’ADN de la démocratie d’outre-Manche en accaparant des pouvoirs de Westminster. « Le Parlement représente le peuple. S’il n’est pas content de ses représentants, l’électorat s’en débarrasse. Mais dans le cadre de l’UE, les Britanniques ne pouvaient pas changer les lois préjudiciables à leurs intérêts », indique le député tory europhobe John Redwood.

Il en est de même de la Cour de justice de l’Union européenne, avec laquelle Londres a coupé le cordon ombilical. Les juristes britanniques avaient activement participé à la création de ce qu’ils pensaient n’être qu’un tribunal d’arbitrage technique encadrant le marché unique. Mais, au fil des ans, la Cour avait étendu ses prérogatives à la protection des travailleurs et de l’environnement ou aux droits de l’homme, des sujets hautement politiques relevant du Parlement de Westminster.

Surtout, enfant du populisme, le Brexit a tué le populisme. Paradoxe cruel pour l’un des hommes politiques britanniques charismatiques qui a le plus marqué de son empreinte la politique du royaume : Nigel Farage est sorti de l’histoire par une porte dérobée. Le 7 mars 2021, le leader du parti nationaliste Reform UK a démissionné de son poste. Depuis, le défenseur ultra du souverainisme anglais est aux abonnés absents.

Grand vainqueur du scrutin européen de mai 2019, son parti a été rayé de la carte électorale grâce au raz-de-marée johnsonien lors des législatives du 12 décembre. À l’exception de l’Écosse, où la formation indépendantiste SNP est majoritaire, les deux grands partis traditionnels règnent à nouveau en maître sur la vie politique. Quant aux groupuscules ouvertement d’extrême droite – l’English Defence League et le British National Party – ils ont disparu de la scène.

Le vote en faveur du Brexit avait été la résultante d’une flambée de populisme en Angleterre même, qui avait profité d’un terreau propice. Le soutien au Brexit avait été à la fois populaire et bourgeois.

Ouvriers et employés avaient été touchés de plein fouet par le changement technologique qui avait ôté la sécurité de l’emploi. L’avancée très rapide des droits des minorités raciales et sexuelles avait heurté le conservatisme des habitants des petites villes et des campagnes, fortement attachés au terroir. Ils étaient surtout hostiles à la libre circulation des 3,4 millions de ressortissants de l’UE. Parallèlement, la sortie avait recueilli les suffrages d’une partie de la classe moyenne de province, nostalgique de la grandeur passée, qui se drapait dans la défense de la souveraineté nationale et du patriotisme.

« Johnson a fait rentrer le génie populiste dans la bouteille. Il a privé Farage de sa raison d’être en se drapant dans le populisme de la défense du peuple contre les élites londoniennes pro-européennes qui, à l’entendre, entendaient lui voler la victoire en empêchant le Brexit », insiste Steve Richards, auteur du livre The Prime Ministers.

Si, à court terme, tout va très bien, Madame la Marquise, à long terme le Brexit ne risque-t-il pas de ramener le royaume, qui gouvernait jadis le plus grand empire de tous les temps, à un rang ordinaire ? Virulemment anti-Brexit, l’Écosse et l’Irlande du Nord ne vont-elles pas faire sécession ? En bons pragmatiques, la plupart des sujets de Sa Majesté, ne se posent sans doute pas durablement ces questions. 

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