Que ce soit en Algérie ou au Maroc, la musique s’est invitée dans les manifestations et les soulèvements, fidèle à une longue tradition de chants critiquant le pouvoir en place. Une contestation que l’on trouve surtout du côté des rappeuses au Maroc. Elles s’appellent Khtek (« Ta sœur » en français), Krtas Nssa (« Munitions de femmes »), Tendresse ou encore Manal. Elles parlent du harcèlement de rue, de santé mentale et de culture amazigh (berbère). Même tendance en Algérie, avec la rappeuse Raja Meziane dont les titres Allô le système ! ou Doña Victoria contestent ouvertement le régime prédateur dans son pays et remportent un succès immense. Révélée par une émission de télévision, la jeune artiste a été par la suite contrainte de s’exiler en République tchèque après avoir refusé de participer à l’enregistrement de l’hymne en soutien au quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. 

En parallèle, chez les hommes, d’autres voix ont pris la relève : les supporters de foot. Les ultras du club de Tanger chantent leur désespoir et leur colère dans des titres devenus des hits populaires : « La noirceur de cette vie est la cause de l’émigration. Félicitations le pays s’est vidé. Ni santé, ni éducation, juste de la corruption. » À Alger, les supporters critiquent au stade les mandats successifs d’Abdelaziz Bouteflika dans un chant aujourd’hui emblème de résistance, La Casa del Mouradia (« le palais présidentiel »). À leurs chants engagés, les supporters ajoutent des tifos – c’est-à-dire des animations visuelles – dans les tribunes qui transmettent un message à peine masqué, comme cette définition qu’Orwell donne dans son célèbre roman 1984 de la « chambre 101 », ce lieu de tortures qui « est la pire chose qui soit au monde ». « On dit aux gens : vous ne pouvez pas dire ça à haute voix, alors nous on va le faire », explique Ali, un ultra tangérois.

Loin de ces mouvements, d’autres artistes écrivent en solo des textes abrasifs. C’est le cas du Marocain Nabil Elamraoui, alias Cheb, un des rares à avoir publiquement défendu le journaliste Omar Radi, incarcéré depuis juillet 2020. Électron libre engagé politiquement et esthétiquement, il se démarque de la scène rap commerciale dominante. « Les rappeurs me dérangent. Pour moi, le rap est encore trop homophobe et sexiste. Ses valeurs ne me plaisent pas, il y a beaucoup de méchanceté dans cette musique. » Le trentenaire tranche par son univers déjanté, sa critique acerbe du pouvoir, et liste ce qu’il n’aime pas dans la société marocaine, comme « la mentalité masculiniste, la religion étouffante, l’inégalité entre les sexes ». Pour lui, cette contestation ne tient pas qu’aux mots, elle se loge aussi dans son choix d’utiliser la darija – l’arabe dialectal marocain. « J’aime mettre la lumière sur les cultures populaires, tout ce qui est délaissé, méprisé, sale, j’essaye d’en faire quelque chose. »

Dans un espace où la liberté d’expression est restreinte, la langue fait incontestablement partie des outils de contournement. Face à la censure, Internet et les réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans la diffusion de la musique. Aux côtés des ultras, des rappeurs ou des chanteurs engagés, c’est aussi une tradition qui subsiste dans les cabarets de Casablanca ou d’Oran, où se dansent et s’écoutent le raï et le chaâbi. Si la revendication politique n’y est pas directe, les paroles clament depuis toujours la liberté d’aimer qui l’on veut, de penser comme on veut, bref de vivre librement. 

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