Malgré le Covid, la vie continue. Nos vies, celles de nos proches, de nos amis. Et puis il y a les autres vies. Toutes sortes de vies. Et dans ce numéro du 1, les vies brisées des mineurs – on trouve aussi des garçons – qui se prostituent. Chaque année dans notre pays, elles sont des milliers – 6 000 à 8 000 au moins – à vendre leur corps. Les plus jeunes ont douze ans. Le phénomène est ancien, mais on commence seulement à le discerner et à le mesurer tandis qu’il connaît une explosion alarmante. Au point que le gouvernement a créé en septembre un groupe de réflexion pluridisciplinaire pour préparer un plan d’action qui sera rendu public le 4 mars 2021.

La prostitution des mineurs reste d’autant plus difficile à appréhender que nombre de signaux d’alarme ne sont pas tirés à temps. Tout commence parfois dans les toilettes de l’école, avec des fellations monnayées quelques euros. Or, craignant pour leur image, peu d’établissements scolaires osent s’attaquer de front à pareil sujet. Le tabou l’emporte sur le secours aux jeunes en danger. Et l’information préventive laisse cruellement à désirer. Dans un contexte où les trois cours d’éducation sexuelle annuels, pourtant prévus par la loi, ne sont pas toujours dispensés, les ados n’entendent guère parler de la notion fondamentale de consentement.

Les enquêtes montrent en outre que certains jeunes adoptent sans en avoir conscience des comportements préprostitutionnels, échangeant des photos les montrant dénudés (des nudes) contre des cadeaux, ou se livrant à des shows de cam girls, autrement dit se filmant dans des poses suggestives. Si les frontières peuvent être floues entre le michetonnage – des rapports romantico-sexuels en échanges de faveurs matérielles – et la prostitution, il n’y a qu’un pas vers l’emprise sur les corps. Même si les jeunes filles ne se considèrent pas toujours comme des victimes, mais prétendent ainsi maîtriser leur destin et croient grandir plus vite.

Impossible de généraliser des parcours individuels, chaque fois singuliers. On observe cependant que nombre de jeunes prostituées ont subi dans leur enfance des violences sexuelles.

À travers deux enquêtes, l’une de notre reporter Manon Paulic en France, l’autre de la journaliste indépendante Bénédicte Jeandeaud sur l’exploitation sexuelle des jeunes Nigérianes en Italie, ce numéro du 1 dévoile de façon souvent crue, violente et poignante les raisons qui conduisent ces jeunes à plonger dans l’engrenage de la prostitution, au prix de leur vie parfois, de leur intégrité physique et psychologique toujours. Le constat nous concerne tous. Ces mineurs qui vendent leur corps sont d’abord des jeunes que la société des adultes, par ses perversions, contraint à se prostituer. 

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