Dans un rare entretien de 1980 donné à Philip Roth, cinq avant qu’il ne se résigne au silence médiatique, Milan Kundera s’épanchait sur l’angoisse de la mort, cette « perte du moi » : « Ce qui nous terrifie dans la mort, expliquait-il alors, ce n’est pas la perte de l’avenir, c’est la perte du passé. » Disparu le 11 juillet, à l’âge de 94 ans, l’écrivain franco-tchèque était obsédé par la question de l’oubli, oubli imposé par les tyrans de tous horizons, ou oubli volontaire de celui qui souhaite s’évanouir, se faire oublier pour ne pas avoir à se justifier d’avoir existé.

Kundera lui-même avait orchestré sa disparition, décidé depuis 1985 à ne plus donner d’entretien, à s’effacer derrière ses livres, à n’être plus qu’un être de papier. Il nous apparaît pourtant bien vivant dans ce numéro hommage du 1 des écrivains, que ce soit dans le portrait qu’en fait l’écrivaine tchèque Sylvie Richterová, qui revient sur l’effervescence du Printemps de Prague, ou sous la plume de Christian Salmon, qui fut son ami et plus proche collaborateur dans les années 1980. Ce dernier signe là un texte magistral, un tombeau littéraire qui donne à voir l’humour, la malice, mais aussi l’impétuosité d’un romancier passionné de musique qui ne détestait rien tant que le « tralala ». Il invite, surtout, à lire ou à relire les œuvres de Kundera, de La Plaisanterie à L’Insoutenable Légèreté de l’être, de La Lenteur à L’Immortalité. Autant de titres aux airs programmatiques, mais qui offrent en réalité aux lecteurs la liberté retrouvée.

Car, dans un temps obsédé par les réponses définitives, encombré par « le fracas imbécile des certitudes humaines », Kundera préférait cultiver le pouvoir du doute et la sagesse de ce roman qui a « question à tout ». Insaisissable, réfractaire à toute forme d’idéologie ou de camp politique, au point de devenir suspect aux yeux de tous, l’écrivain a toujours cherché à se tenir à distance de deux abîmes, celui du fanatisme d’une part, du scepticisme absolu de l’autre. C’est là, sur ce chemin de crête, que pouvait se frayer une voie vers les accidents de la poésie, de la beauté et de l’amour. Dans La vie est ailleurs, son deuxième roman, il écrivait déjà cette formule aux airs de testament : « Il n’est rien de plus beau que l’instant qui précède le voyage, l’instant où l’horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses. » 

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