Il existe deux espèces de crabes bleus en Méditerranée : Portunus segnis, une espèce originaire de l’océan Indien arrivée en Méditerranée dès l’ouverture du Canal de Suez, en Égypte, à la fin des années 1880, et Callinectes sapidus, qui provient des Caraïbes et du golfe du Mexique. Cette dernière espèce n’est présente que depuis assez récemment, autour de 2014 en Tunisie par exemple, et on la retrouve en grand nombre sur toute la rive nord de la Méditerranée.

Ces deux espèces sont invasives et occupent des niches écologiques, devenant dominantes dans les écosystèmes.

La présence de crabes bleus en Méditerranée est due en grande partie au fret maritime, et plus précisément aux eaux de ballast, utilisées pour stabiliser les navires, qui peuvent, si elles ne sont pas traitées à l’arrivée, introduire de nouvelles espèces envahissantes, plantes ou animaux.

Ces deux espèces sont invasives et occupent des niches écologiques, devenant dominantes dans les écosystèmes. Elles se prennent dans les filets, dévorent le poisson emmaillé ou l’abîment, le rendant invendable. Mais ces crabes sont délicieux, en particulier le Callinectes sapidus, dont le goût se rapproche de celui du homard. Cette espèce peut atteindre près de 400 grammes à maturité, et 40 % de son poids est constitué de tissu comestible, ce qui la rend très intéressante en termes d’exploitation économique.

Toutefois, les pêcheurs des étangs roussillonnais ou languedociens sont désemparés face à l’absence de distribution de cette espèce en France, qui ne leur permet pas de gagner leur vie. Certes, de grands cuisiniers la préparent déjà en bisque ou en sauce, seulement elle demeure peu valorisée. Or, tant qu’il n’y aura pas d’ateliers de conditionnement, de coopératives de mise en valeur concertée de la ressource qui permettrait aux pêcheurs d’en tirer un revenu décent, Callinectes sapidus restera un problème pour eux.

De manière générale, une espèce invasive prolifère lorsque le milieu est dégradé et qu’elle n’a pas de prédateurs. 

En Tunisie, le crabe bleu est largement pêché, mais peu consommé par les populations locales. Plus de quarante usines de conditionnement ont été créées grâce à des financements de l’État tunisien et à des capitaux privés, nationaux et étrangers. Certains de ces ateliers, comme ceux installés sur les îles Kerkennah, emploient une cinquantaine de personnes, en grande partie des femmes. Il s’agit d’un travail posté, huit heures par jour, dans l’humidité, pour un salaire à peine équivalent au Smic tunisien. Les sociétés littorales tunisiennes se prolétarisent, les travailleuses de ces usines étant généralement les filles ou les femmes des pêcheurs qui gagnent eux-mêmes difficilement leur vie en raison de l’effondrement de la ressource.

Comment, alors, développer et valoriser la commercialisation du crabe bleu sur la rive nord de la Méditerranée, dans le Languedoc et le Roussillon ? Va-t-on suivre le modèle tunisien, fondé sur la dépendance des pêcheurs ou bien mettre en place des coopératives et un contrôle démocratique et local de la ressource ? La région Occitanie a décidé l’an dernier d’investir 400 000 euros sur deux ans pour rémunérer scientifiques et pêcheurs étudiant le crabe bleu, mais l’effort reste insuffisant.

En Méditerranée, certaines espèces envahissantes sont néanmoins beaucoup plus préoccupantes que le crabe bleu. Dans le bassin oriental, Lagocephalus sceleratus, aussi appelé « poisson-ballon », menace à la fois la biodiversité et la santé humaine, car sa consommation est létale. De manière générale, une espèce invasive prolifère lorsque le milieu est dégradé et qu’elle n’a pas de prédateurs. Lorsqu’il est juvénile, le crabe bleu est consommé par les poulpes et les poissons de la famille des sparidés, comme les daurades ou les sars. Si le crabe bleu prolifère dans les lagunes du Languedoc, c’est sans doute parce que ces espèces tendent à disparaître, notamment en raison de la pêche côtière. Pour mettre en place une politique de soutien et de valorisation des pêches traditionnelles, il faut revoir la manière dont nous avons prélevé les espèces endémiques. N’ont-elles pas été exploitées au-delà de leurs capacités de renouvellement ? La présence du crabe bleu pose la question d’une politique de pêche durable en Méditerranée, et de tous les problèmes liés à la pêche traditionnelle, des mesures drastiques de la Communauté européenne aux effets du dérèglement climatique comme les changements de courants, de vents ou de températures qui bouleversent le calendrier des pêches.

Conversation avec E.Fl.

 

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