À l’époque, la vidéo avait provoqué des sourires goguenards. Sur le plateau de l’émission Arrêt sur images, le militant LGBT Arnaud Gauthier-Fawas s’était emporté à l’été 2018 contre son identification au genre masculin par le présentateur : « Vous me mégenrez ! Je ne suis pas un homme, je ne sais pas ce qui vous fait dire que je suis un homme, je suis non binaire ! » Trois ans plus tard, l’indignation surjouée de l’invité barbu peut encore laisser perplexe, mais elle a au moins eu le mérite d’ouvrir le débat, et d’éveiller la curiosité sur ce mouvement de refus. Refus des étiquettes, refus des héritages dévolus à chaque sexe, refus d’un binarisme qui ne saurait prendre en compte la diversité du nuancier de genres sur lequel chacun viendrait s’inscrire.

Ce numéro du 1 se penche sur les origines et la réalité de cette remise en question, qui affecte l’ensemble de la population. Les transgenres, bien sûr, dont l’identité profonde ne correspond pas au sexe assigné à la naissance. Très minoritaires – quelques dizaines de milliers de personnes en France –, ceux-ci ont gagné en visibilité au cours des dernières années, mais souffrent toujours de douloureuses discriminations – en témoigne le suicide en décembre dernier d’une lycéenne trans de 17 ans. Ou les « non-binaires » donc, terme très large, choisi pour désigner les personnes qui affirment ne pas se reconnaître dans la stricte division entre hommes et femmes. Selon un sondage de l’Ifop publié en novembre dernier, 22 % des jeunes âgés de 18 à 30 ans revendiquent cette « fluidité de genre », qu’ils contestent en silence les bornes de leur identité ou qu’ils jouent ouvertement avec les codes et les clichés.

Mais la révolution du genre ne se limite pas à ces figures androgynes, aux faux airs de Prince ou de David Bowie. Elle touche par ricochet l’ensemble d’une société dont elle bouscule les carcans et les présupposés. Parce qu’à l’instar de toute révolution, elle formule la promesse d’un autre monde, un monde qui n’effacerait pas le masculin et le féminin, comme s’en émeuvent à grands cris les partisans de la tradition, mais où cette distinction pourrait être débarrassée des logiques de pouvoir et de domination qui ont jusqu’ici prévalu. Être un homme, oui, mais sans forcément être tenu à une virilité toxique. Être une femme, ­d’accord, mais affranchie des injonctions sexistes quotidiennes. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le sociologue Éric Macé rêve d’un monde où la différenciation entre les sexes n’aurait pas beaucoup plus d’importance que celle aujourd’hui observée entre droitiers et gauchers. Une réalité biologique sans déterminisme social, chargée de folklore et de représentations, mais qui n’entamerait rien de notre liberté. 

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