Il y a deux façons d’appréhender la levée des principaux blocages qui ont ralenti le pays pendant une dizaine de jours. La première, portée notamment par le gouvernement et la FNSEA, se réjouit de la clôture de cette crise agricole inattendue, qui menaçait de devenir incontrôlable. Fraîchement arrivé à Matignon, Gabriel Attal peut se féliciter d’avoir évité la contagion à d’autres secteurs d’activité, après avoir lâché un peu d’argent et beaucoup d’ambitions écologiques. Quant au syndicat majoritaire, qui pouvait redouter d’être débordé par sa base, il a réussi à faire valoir ses intérêts, c’est-à-dire ceux des grands producteurs de céréales et d’oléagineux, principaux bénéficiaires des mesures annoncées – de la dérogation aux 4 % de terres non cultivées au relèvement des seuils d’exonération sur les successions agricoles.

Mais il y a une autre manière de concevoir cette suspension en rase campagne, celle d’un rendez-vous manqué avec la ruralité. Si certaines annonces vont indéniablement dans le bon sens (respect de la loi EGalim, simplification administrative), elles risquent de ne pas être suffisantes pour améliorer le revenu du gros des agriculteurs. Surtout, en n’accédant qu’aux demandes de la FNSEA, en reculant sur la protection de la santé et de la biodiversité, en n’engageant aucune réflexion sur des pistes innovantes, comme la sécurité sociale de l’alimentation, le gouvernement donne à penser qu’il n’existe qu’un seul modèle valable, celui d’une agriculture intensive, inféodée aux exigences de l’agrobusiness. Or c’est ce même modèle qui a mené tant de paysans français sur la paille, à force d’endettement et de pressions sur les cours. Quant à reculer aujourd’hui sur la transition agroécologique, ce n’est rien moins que la garantie d’un grand saut à venir vers l’inconnue climatique. Les routes de France ne sont peut-être plus bloquées. Mais, alors que la moitié de nos agriculteurs sera partie à la retraite dans six ans, c’est bien l’ensemble du système qui débloque. 

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