Quelle est l’ampleur du trafic d’animaux sauvages dans le monde ?

Tout d’abord, un point d’attention : une partie de ce commerce est légale. La Convention sur le commerce international des espèces (CITES) autorise l’importation et l’exportation de certaines espèces de manière très régulée. Si on arrive à prouver qu’un animal interdit à la vente, comme un tigre, est né en captivité, alors son commerce devient légal. Mais cela crée des failles.

Quant au commerce illégal, nous sommes là face à un phénomène d’ampleur industrielle. Aucun continent n’est épargné. Selon les États-Unis, c’est le quatrième trafic le plus important de la planète après ceux de la drogue, de la contrefaçon et des êtres humains. Le trafic du vivant (faune et flore) représenterait 17 milliards d’euros par an, d’après l’ONU – dont 14 milliards rien que pour les animaux, selon nos estimations. Mais quand on pense que le marché de la civelle, soit l’alevin de l’anguille, pèserait à lui seul 3 milliards d’euros, on peut considérer que ces estimations sont bien en deçà de la réalité.

Qui sont les acteurs de ce trafic illégal ?

De nombreux réseaux mafieux s’en emparent. Pour eux, c’est une forme de diversification opportuniste. S’ils se font prendre, les peines et les amendes encourues sont bien moindres que pour la drogue, par exemple. Quand on sait que la corne de rhinocéros se négocie à 50 000 euros le kilo, c’est un ratio risque-bénéfice extrêmement intéressant. En 2019, l’Union européenne a déclaré qu’il s’agissait d’une des formes les plus rentables de crime organisé. Les débouchés de ces réseaux sont l’alimentation, la pharmacopée, l’ornement (notamment à destination des marchés asiatiques), la mode, mais aussi le commerce d’individus vivants pour en faire des animaux de compagnie.

Quelle part du ­commerce d’animaux vivants cela représente-t-il ?

Là encore, aucun moyen de le savoir avec certitude, mais une étude menée par l’organisation IFAW (Fonds international pour la protection des animaux) soutient que cela représenterait la moitié du commerce global d’animaux par ­Internet. C’est un phénomène de grande ampleur, surtout pour les oiseaux. Des perroquets, des cacatoès notamment, mais aussi des chardonnerets braconnés sur le territoire français – ils sont très appréciés pour leur chant. Ce trafic n’est donc pas seulement le fait de pays pauvres ou de pays dont les administrations sont corrompues. Les reptiles sont eux aussi très demandés, en Europe et spécialement en Allemagne, où l’on adore les serpents, les caméléons et les geckos. En France, il y a eu la mode des singes magot en provenance du Maroc, vendus autour de 2 000 euros. Et aujourd’hui de plus en plus de félins.

S’il est légal de vendre un animal né en captivité, alors les élevages d’animaux doivent permettre de limiter le braconnage, non ?

C’est leur argument. Mais le problème, c’est que de nombreux élevages deviennent des lieux de blanchiment pour des animaux capturés illégalement. En Espagne, une descente de police chez un éleveur d’oiseaux qui avait pignon sur rue a permis de découvrir qu’il récupérait des puces ­électroniques sur des animaux d’élevage morts pour les mettre sur des animaux prélevés dans la nature. Certains collectent des œufs d’oiseaux tropicaux et les font naître ensuite en Europe, comme un marchand suisse qui faisait passer des œufs de perroquet dans son slip !

Pour moi, l’élevage amplifie le problème plutôt qu’il ne le résout. C’est une manière de déculpabiliser le consommateur, de lui faire sentir qu’il a le droit de posséder un animal sauvage. Le cas des félins montre bien que ces élevages sont loin de satisfaire la demande. La part de ces animaux dans les saisies par la police a fortement augmenté en Europe et en Amérique du Nord. Comme il y a une pénurie de tigres, les trafiquants se portent vers d’autres animaux. Certains parce qu’ils sont plus petits, donc plus faciles à transporter, comme le caracal en Europe. D’autres parce qu’ils sont plus faciles à domestiquer, comme le guépard, très prisé dans les pays du Golfe. Et pour ceux qui aiment les gros félins, il y a aussi le lion et, plus récemment, le jaguar.

Quelles sont les motivations qui poussent à posséder un félin, ou un animal sauvage en général ?

Elles sont nombreuses. ­Posséder un animal sauvage, c’est tout d’abord un signe ­extérieur de richesse : on possède quelque chose de rare. Mais cela procure aussi un sentiment de puissance, qui témoigne d’une capacité à maîtriser un animal dangereux, venimeux (serpents, araignées), ou capable de nous tuer, comme un tigre. Il y a là un processus égotique très fort. On veut s’afficher avec ces animaux sur les réseaux sociaux, comme le font certains rappeurs ou sportifs. On se souvient de Paris Hilton qui avait posé avec un orang-outan, ou du footballeur Memphis Depay de l’Olympique lyonnais dont la photographie avec un ligre (croisement entre un lion et un tigre) a fait polémique l’an passé. D’autres gens veulent faire pareil, et cela intensifie le trafic d’animaux sauvages.

Internet et les réseaux sociaux ont-ils amplifié ce trafic ?

Oui, c’est certain et pour deux raisons principales. D’abord, ils créent une envie de ­s’exposer, comme on l’a dit. Par le passé, seuls les monarques pouvaient se le permettre, comme Louis XIV et son éléphante, mais aujourd’hui s’afficher à côté d’un animal sauvage est à la portée de tous. À titre de comparaison, un jeune tigre se vend aujourd’hui entre 3 000 et 6 000 euros, un jeune caracal 1 500, et un chardonneret entre 100 et 500. Par ailleurs, ­Internet a supplanté de nombreux marchés physiques, notamment depuis la pandémie. Plus besoin de se déplacer dans un lieu clandestin, des grossistes virtuels alimentent le marché. Les réseaux sociaux deviennent des espaces de vente où il est facile de passer sous le radar des autorités, en utilisant des noms de code. En Chine, il y a peu, si on voulait du ­pangolin, il suffisait de commander des « ballons congelés ». Les moyens manquent pour surveiller ces trafics, même s’il y a une coordination internationale au niveau d’Europol ou d’Interpol. En France, par exemple, les agents sont peu nombreux. Ils s’appuient sur les ONG, mais les mailles du filet ne sont pas assez fines.

Accueillir le sauvage chez soi, ne serait-ce pas aussi une façon de se reconnecter à la nature ?

Peut-être, mais c’est paradoxal, car c’est prendre une part de vie sauvage pour l’enfermer chez soi. Pour satisfaire cette envie, on dompte et on tue ces animaux. Les conditions de capture et de captivité s’apparentent souvent à de la torture. 75 % des perroquets meurent avant d’avoir atteint l’acheteur final. Les animaux sont transportés dans des bouteilles ou dans des valises, des colibris sont scotchés à l’entrejambe des trafiquants…

Une fois en captivité, ces animaux ont des mouvements entravés, ils n’ont plus d’inter­actions avec leurs congénères. Leur régime alimentaire s’appauvrit. Certains se mutilent. D’autres sont sous sédatif pour ne pas être dangereux. Un tigre dans la nature a un territoire qui s’étend de 100 à 9 000 km2. Le faire vivre dans une cage ou dans un espace confiné, quel qu’il soit, est une mal­traitance ­évidente. 

 

Propos recueillis par AURÉLIEN FRANCISCO BARROS

 

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