Le nom de Viron est associé à la baguette de tradition, réinventée par le « décret pain » il y a une trentaine d’années. Racontez-nous !

Dans les années 1980, on se posait beaucoup de questions sur la qualité du pain. Pour que les gens soient contents, il suffisait que le pain sorte du four. Mais le goût, c’est important ! Mon père, Philippe Viron, faisait partie de la délégation « qualité » aux états généraux de la boulangerie, en 1983. Il en est revenu avec une obsession : le plaisir du palais des consommateurs. Un jour, un de ses clients, boulanger à Paris, lui a demandé une farine différente de ce qui se faisait alors : il voulait qu’elle soit sans acide ascorbique et sans blés américains, ces « blés de force » très riches en protéines et en gluten qu’on ajoutait, en France, pour corriger nos blés plus faibles. Je me souviens que mon père lui a dit : « Mais vous allez faire des galettes, avec ça, pas des baguettes ! » Et le client – il s’appelait Meunier – lui a répondu : « Eh bien, vous n’aurez qu’à venir goûter mes galettes ! »

J’y suis allé avec mon père : c’étaient bel et bien des baguettes. Et quelle différence de goût ! L’idée de la Rétrodor, la première baguette de tradition, vient de là. Nous avons créé un produit qui remettait au goût du jour une recette du début du XXe siècle, et nous avons commencé à le promouvoir auprès de nos clients boulangers. Un vrai travail d’évangélisation en faveur du bon pain ! On a fait du bouche-à-oreille, du marketing de pâté de maisons, en faisant déguster notre baguette aux consommateurs autour des boulangeries. Le passage à la marque Rétrodor s’est fait au début des années 1990, avant le décret pain. Certains commençaient à lancer des marques sans aucun degré d’exigence, alors on a décidé de donner une visibilité à notre produit de qualité avec une marque, et ç’a été la Rétrodor. Le magazine Elle nous a consacré un article dans lequel on pouvait lire : « Quel vilain nom pour une si bonne baguette ! » J’étais ravi !

 

Dans votre famille on est meunier depuis six générations. En quoi consiste votre métier ?

Il consiste depuis toujours à moudre les grains de blé pour faire de la farine. Les meuniers sont au milieu de la filière pain. Nous sommes en relation, en amont avec les producteurs de blé, et en aval avec les boulangers (et les consommateurs par le biais des animations commerciales). Dans notre laboratoire, à Chartres, nous travaillons beaucoup sur le goût. Pour les dégustations, on fait cuire entre 4 et 12 types de pain avec plusieurs variétés de blé, et un panel d’experts note les différences de saveur, de texture, de conservation.

 

Quels sont vos rapports avec les boulangers ?

Ce sont des clients. Nous n’avons pas de contrat : ils s’engagent seulement à respecter la recette, et donc les consommateurs. L’artisan est libre. Nous lui fournissons des services. Par exemple, depuis deux ans, on récupère les invendus de Rétrodor : séchés au four, ils remplacent 30 % de l’orge et du blé dans une bière qu’on a mise au point avec des jeunes brasseurs de Chartres. On s’est bien amusés et on a même gagné des prix !

 

Avez-vous vu évoluer le goût des consommateurs ?

Les gens aujourd’hui veulent découvrir d’autres choses que la baguette. Des pains plus rustiques, aux graines, au levain, bio… Nous menons des recherches en replantant des variétés de blé anciennes qui sont écrasées à la meule et entrent dans ces produits qu’on dit authentiques – la vérité est qu’on ne sait pas quel goût avait le pain autrefois ! Je constate que les consommateurs aiment le changement, mais qu’ils reviennent toujours à la baguette si elle est bonne ! La deuxième grande évolution, c’est l’offensive de nos amis anglo-saxons avec les buns et les pains de mie : des buns de mauvaise qualité et des pains de mie de très, très mauvaise qualité. Je dis à nos clients boulangers : faites des buns, mais des bons, sans additifs ; pareil pour le pain de mie, faites la différence par la qualité ! Le mou est en train de gagner des parts de marché. Certains demandent systématiquement leur baguette peu cuite, ce qui fait qu’ils ratent tout le caramel de la croûte, donc une grande partie de ce qui fait le pain à la française.

 

Comment avez-vous traversé la crise sanitaire du Covid-19 ?

À partir de la mi-mars, la demande des boulangers a baissé, puisque les cafés, les restaurants et les bureaux ont fermé. Cela faisait moins de pain à livrer, moins de sandwichs et moins de pâtisseries à préparer. La baisse du chiffre d’affaires des boulangeries a été de 50 à 100 % à Paris et de 20 à 50 % en banlieue et en province – en revanche, les petites boulangeries de campagne ont vendu davantage ! J’ai été subjugué par la vitesse à laquelle les artisans se sont adaptés à la situation sanitaire. 

Propos recueillis par S.Gh.

 

 

 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !