Suis-je nostalgique de la France des années soixante ou de mes jeunes années ? Les deux, sans doute, et elles sont intimement mêlées. En ce temps-là, on vivait d’amour et d’eau fraîche, mais on trouvait facilement un emploi ; on se déplaçait en Solex, tout en admirant la DS 21 ; c’était Salut les copains, les yé-yé, que l’on dévorait sur les mange-disques ; on découvrait avec émerveillement le lave-vaisselle, les sièges en skaï, la seconde chaîne de télévision, les minijupes, la Nouvelle Vague, le premier homme dans l’espace…

Les années soixante n’étaient pas toujours un âge d’or – pas pour tout le monde en tout cas.

Mais voici que des quadragénaires, qui n’étaient même pas nés au temps de Georges Pompidou, sont nostalgiques de ces années-là. Les psys nous assurent que c’est normal : il est possible d’éprouver un regret mélancolique de choses que l’on n’a pas vécues. Baudelaire l’écrivait déjà en 1867 dans un poème en prose. Devançant Proust, il allait plus loin que sa madeleine : « Nous fumâmes longuement quelques cigares dont la saveur et le parfum incomparables donnaient à l’âme la nostalgie de pays et de bonheurs inconnus. »

Les années soixante n’étaient pas toujours un âge d’or – pas pour tout le monde en tout cas. Ce « bon temps » présumé était aussi celui de l’hécatombe routière, des salles enfumées par le tabac, des pavés jetés sur les « CRS-SS », des avortements clandestins, de la construction du mur de Berlin… Les quadragénaires d’aujourd’hui connaissent probablement le revers de la médaille. Mais cela n’empêche pas les plus nostalgiques d’entre eux de rêver aux sixties et d’en collectionner des vestiges avec passion. Des adeptes de cette mode vintage utilisent les techniques informatiques les plus sophistiquées pour dénicher des véhicules, des meubles, des vêtements ou des bibelots d’une époque fantasmée, puis se servent des réseaux sociaux de dernière génération pour partager leurs acquisitions avec la terre entière. Comme l’aurait redit Simone Signoret, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était.

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