80 % des bâtiments que nous occuperons en 2050 sont déjà là. Le parc automobile français terminera alors à peine son renouvellement. La France aura commencé à perdre de la population. Ces tendances lourdes sont à l’œuvre. Mais on veut tout changer, puisqu’il y a urgence à agir.

Aménager les villes et les territoires, c’est une question de vides et de pleins, de proximité et d’éloignement, d’autonomie et d’interdépendances. En ces matières, les évolutions sont histoire de systèmes et d’acteurs. Et elles s’effectuent à des rythmes très divers. L’industrialisation de l’agriculture, après 1945, a vidé les campagnes en une génération. En cinquante ans (1950-2000), la démocratisation de la vitesse automobile a multiplié par cinq les kilomètres quotidiennement parcourus par un Français. Pour ce qui concerne l’attractivité des villes, les TGV se sont contentés d’accélérer les tendances préexistantes. Et Amazon n’aura eu besoin que de quinze ans pour installer plus de trente sites logistiques en France.

La préservation de la planète et de ses habitants, présents et futurs, n’est pas affaire de réparation mais de transformation,

C’est donc avec ces asynchronies que l’action publique doit compter, alors que la transition écologique change la donne temporelle de l’aménagement du territoire. Il faut agir sans délai, et pourtant sans que nous disposions des services d’urgence ad hoc. Nous savons intervenir en cas d’événements catastrophiques. Mais nous sommes démunis pour des sauvetages de longue durée. La préservation de la planète et de ses habitants, présents et futurs, n’est pas affaire de réparation mais de transformation, de changements de modèle dans l’organisation et le fonctionnement des territoires.

Or comment changer vraiment de modèle ? Dans le domaine de la mobilité, par exemple, le nouveau paradigme, ce n’est pas des moteurs électriques dans les voitures et la promesse de RER métropolitains ; c’est réduire les vitesses de circulation autorisées, mettre en place des cars express sur les liaisons entre centres et périphéries (mesures de court terme), transformer l’usage de l’automobile pour en faire le transport collectif des zones peu denses et penser collectivement le télétravail au sein des bassins d’emplois (mesures de long terme).

Le nouveau monde de l’action publique concilierait temps longs et temps courts, double assurance d’efficacité et de légitimité des politiques publiques de transition. 

Changer de modèle ne se décrète pas. Malgré tout, il y a des occasions à saisir. Les accidents pourraient en être. Quand la forêt landaise brûle, il faut ainsi replanter des arbres d’essences plus variées pour améliorer la biodiversité, choisir des sites où l’on ne replante pas pour réserver des surfaces aux énergies renouvelables, relocaliser les campings déjà soumis au recul de la dune du Pilat ou du trait de côte. Le mot d’ordre du « reconstruire à l’identique » douche les espoirs et rappelle la puissance du vieux monde.

Le nouveau monde saurait, lui, profiter des innovations technologiques pour développer des innovations organisationnelles – les plus aptes à permettre les changements de paradigmes, ainsi que l’Europe le suggère en couplant transitions écologique et numérique. Le nouveau monde dont nous avons besoin ferait attention à ne pas survaloriser l’acte d’investissement au détriment des solutions de court terme, de gestion, d’exploitation. En privilégiant, notamment, le chrono-aménagement et les politiques temporelles afin d’optimiser l’usage des équipements collectifs, des espaces publics et des voies de circulation. Le nouveau monde de l’action publique concilierait temps longs et temps courts, double assurance d’efficacité et de légitimité des politiques publiques de transition. Et, pour ne pas se tromper, dans une urgence parfois mauvaise conseillère, le nouveau monde de l’action publique se méfierait des panacées (telle la ville compacte) et préférerait diversifier les solutions et les démarches, parce que l’existence d’alternatives est gage de résilience. 

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