Quotidienne

Et demain, quoi ? #1

Sylvain Cypel, journaliste

Membre du comité éditorial du 1, Sylvain Cypel a été directeur de la rédaction de Courrier international et correspondant du Monde à New York de 2007 à 2013. Il a longtemps vécu en Israël et a notamment publié L’État d’Israël contre les Juifs (La Découverte, 2020). Dans cette chronique quotidienne, il nous livre son regard sur la situation au Proche-Orient à la suite de l’offensive surprise contre Israël lancée par le Hamas le samedi 7 octobre.

Et demain, quoi ? #1
Illustration : Stéphane Trapier

Dans le quotidien de référence israélien Haaretz, lundi matin, l’Américain Chuck Freilich, ancien conseiller à la sécurité du gouvernement israélien, aujourd’hui professeur aux universités de Columbia (États-Unis) et de Tel-Aviv, titrait ainsi l’article qu’il publiait : « Israël doit écraser le Hamas, mais après, quoi ? » La question est très prématurée. Personne ne sait comment va se poursuivre et se conclure cet épisode de la nouvelle guerre de Cent Ans qui oppose Israéliens et Palestiniens. Et le temps de la réflexion rationnelle n’est pas encore venu. Les Israéliens, qui ont subi une attaque d’une rare cruauté que n’avaient pas du tout anticipée leurs dirigeants, sont dans l’émotion absolue et le désir de vengeance. On entend en Israël en ce moment des propos effrayants. Raser Gaza, expulser toute sa population… Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, un « modéré » dans le gouvernement actuel, a publiquement évoqué « des animaux » en parlant des assaillants palestiniens. Qui peut s’en étonner ? La peine, la rage et le désarroi ne sont jamais de bons conseillers.

De l’autre côté, nul doute que les Palestiniens voient eux aussi dans les Israéliens des « monstres ». Là encore, comment s’en étonner ? Il y a quarante ans, les Palestiniens sous occupation militaire connaissaient tous un Israélien sympathique : un patron juif de restaurant qui ramenait chez eux la nuit ses employés arabes pour les aider à passer les checkpoints ; ou une femme de ménage disant de l’Israélienne qui l’employait qu’elle était « très gentille ». Mais, depuis une génération, l’immense majorité des Palestiniens occupés, enfermés derrière de hauts murs, des barbelés et des miradors, et malheureusement quotidiennement tués, ne connaissent plus de l’Israélien que le visage que leur présentent le soldat ou le colon brutal.

Dans ce maelstrom de souffrances et de désespoir vécu par les deux populations, rien ne permet de prévoir les lendemains – et certainement pas de pronostiquer le terme de cette guerre. Mais on peut tirer au moins quelques premières leçons. Il y a trois semaines, Netanyahou paradait : il avait négocié avec le président Biden et le vice-roi d’Arabie un futur pacte grandiose, une alliance qui bouleverserait la donne au Proche-Orient. La plus grande victoire de sa carrière était à portée de main. Car non seulement l’État palestinien était absent de cet accord, mais la « question palestinienne » – le sort exact réservé dans le futur aux Palestiniens – en était, elle aussi, presque écartée. D’ailleurs, aucun d’eux n’avait été convié à ce rendez-vous qui scellait leur sort : on leur donnerait un peu d’argent et ils devraient s’en montrer reconnaissants.

On peut imaginer qu’aujourd’hui, dans les chancelleries qui clament leur soutien indéfectible à Israël, beaucoup savent qu’il est encore trop tôt pour dire certaines choses. Mais qu’il faudra bien admettre un jour que les Palestiniens, comme les Kurdes ou d’autres peuples aux droits nationaux bafoués, n’y renonceront pas pour un plat de lentilles. Cela paraît, en ces jours sombres, une perspective invraisemblable. Pourtant, une fois le Hamas « écrasé » à Gaza, qui peut croire encore que la « question palestinienne » peut éternellement être remisée au placard ?

10 octobre 2023
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