L'Odyssée

Dans le chant VIII de l’Odyssée, alors qu’Ulysse vient de s’échouer sur l’île des Phéaciens, apparaît un aède, qui régale la cour du roi Alkinoos d’une sorte d’Iliade : Démodocos – c’est son nom – chante l’histoire d’Achille, d’Agamemnon et d’Ulysse lui-même, inspiré par « la Muse », cette Muse aimante qui lui « avait donné sa part et de biens et de maux, car, privé de la vue, il avait reçu d’elle le chant mélodieux ». Ce poète aveugle, est-ce Homère lui-même ? Ou, du moins, une transposition au sein de sa propre histoire ? Peut-être. À moins que nous ne nous forcions à le reconnaître sous ces traits, afin de donner un visage à cet auteur nimbé de mystères… Il existe en effet un mythe dans le mythe, une légende au milieu de la plus formidable des épopées, une énigme qui ne lasse pas d’émerveiller près de trois millénaires plus tard : qui était Homère, cet aède censé avoir composé les douze mille vers de l’Odyssée, et les quinze mille de l’Iliade ? Le « Poète souverain » loué par Virgile a-t-il même vraiment existé ? Et si ce n’est lui, alors d’où viennent ces monuments de la littérature qui continuent d’irriguer, siècle après siècle, la culture mondiale ?

Ces interrogations forment ce qu’on appelle, depuis le xix^e siècle, la « question homérique ». Et à ce stade, trois hypothèses, plus ou moins solides, méritent qu’on se penche sur elles. La première serait celle d’un génie barbu et aveugle, un homme seul à l’imagination divine qui, quatre siècles après les événements de la guerre de Troie, datés par les fouilles de Schliemann en Asie Mineure, « aurait inventé la littérature comme on découvre le feu », ainsi que le souffle Sylvain Tesson dans son Été avec Homère. Un aède guidé, peut-être, par la parole des dieux, par cette muse de la mémoire, Mnémosyne, à qui il s’adresse dans les premiers vers de l’Odyssée : « Ô Muse, conte-moi l’aventure