Le Comte de Monte-Cristo

LORSQU’ON EXAMINE la production éditoriale d’Alexandre Dumas entre 1844 et 1850, on reste estomaqué par la suite de monuments produits en l’espace de quelques années : Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après, La Reine Margot, La Dame de Monsoreau, Le Vicomte de Bragelonne, Le Collier de la Reine, et bien sûr Le Comte de Monte-Cristo, son chef-d’œuvre absolu. Par quel miracle ont pu naître, si vite, ces milliers de pages qui ont marqué la littérature mondiale ? L’histoire a retenu, bien sûr, que Dumas bénéficiait de l’aide d’écrivains fantômes, de « teinturiers », à commencer par le plus célèbre d’entre eux, Auguste Maquet. Mais il fallait bien que lui-même soit pluriel pour tenir ensemble ces différentes intrigues, pour s’incarner dans tant de personnages. Pour se faire, comme son héros Edmond Dantès, aussi bien Sinbad le marin qu’abbé Busoni, Lord Wilmore ou comte de Monte-Cristo. Bref, il lui était nécessaire de se réinventer sans cesse sous de nouvelles identités.

De fait, au moment d’entamer la période la plus faste de sa carrière, Alexandre Dumas a déjà connu plusieurs vies. Lui, le quarteron sans le sou a dû batailler contre le racisme de ses pairs pour imposer la force de sa plume. On connaît sa repartie quand, au sujet de la théorie de Darwin, un contradicteur le renvoya à sa couleur de peau : « Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre et mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez, monsieur : ma famille commence où la vôtre finit. » Désormais âgé d’une quarantaine d’années, Dumas est encore surtout connu pour son théâtre romantique, mais la mode du roman-feuilleton, lancée il y a quelques années, lui fait miroiter de nouveaux succès. De ceux qui pourront finir de réhabiliter le nom de son père, général haïtien, héros de la Révolution, avant d’être destitué sous le Consulat.

L’origine même du roman porte le sceau de l’Aigle

À bien des égards