Comment les « banlieues » sont-elles devenues des foyers d’antisémitisme ?

La question est brutale ! Il y a beaucoup d’antisémitisme qui circule, des propos et des insultes, parfois des agressions. Cela ne veut pas dire que tout le monde est antisémite.

L’antisémitisme dans les quartiers apparaît dès que l’on parle de sa propre situation et qu’on l’évalue en termes politiques. C’est une façon de se penser, de se relier au monde et d’avoir une solution à cette situation. Je suis exclu, marginal, ce n’est pas forcément la faute des Juifs mais la solution est de montrer aux Blancs que le véritable républicain, c’est moi. C’est ternaire. Cet antisémitisme ne s’adresse pas aux Juifs mais aux Blancs en général.

L’antisémitisme est un langage ordinaire qui est constitutif d’une sorte de « nous » opposé à « eux ». C’est un langage qui ne se joue pas entre les gens du quartier et les Juifs. Il interagit entre les Arabo-musulmans, les « normaux », les Blancs et les Juifs.

Quand on écoute les discussions dans ces ghettos, on constate que ce langage repose en grande partie sur une description de la situation des habitants. Cela donne : les Juifs ont tout le pouvoir, je n’en ai aucun ; les Juifs sont intégrés, je ne le suis pas ; ils sont reconnus, je ne le suis pas ; ils sont Juifs à leur avantage, je suis Arabe à mon détriment… Et ainsi de suite. Cela opère comme une image inversée même si cela ne correspond pas à la réalité. D’ailleurs, dans les quartiers, vous observez la plupart du temps un antisémitisme sans Juifs. Ces personnes n’en ont souvent pas vu un de leur vie. Les Juifs constituent une toute petite minorité en France.

Pouvez-vous donner une figure du langage anti-sémite ?

Ne serait-ce que le terme « Feuj », très fréquent, péjoratif, qui désigne un Juif. Cela exprime du dégoût. Il y a une dimension physique dans ce mot, il faut bien le comprendre. C’est la traduction d’une certaine émotion. Ce n’est pas un contenu strictement idéologique. C’est un vrai langage.

Quelle est la part du substrat culturel, des préjugés ou du complotisme dans cet anti-sémitisme ?

Les thèses complotistes sont apparues après le 11 septembre 2001. Elles ont été très souvent évoquées avec l’affirmation : il n’y avait pas de Juifs dans les tours… C’est revenu en 2015 avec la rumeur : il n’y avait pas de Juifs au Bataclan… Le thème du complot est inhérent à l’antisémitisme. La part du complotisme est très forte.

Quelle serait la cause principale de l’antisémitisme ?

Ce n’est pas l’exclusion qui peut servir d’explication. C’est un terreau initial mais le problème est de nature politique. L’antisémitisme vient donner du sens à une situation qui n’en a pas. C’est cela que vivent les gens. Ils sont exclus mais ce qui compte surtout, c’est que ces personnes sont dans une situation de vide politique, de marginalité politique, sans issue et sans signification. Il y a donc une demande d’antisémitisme dans les cités, les gens utilisent l’offre dont ils disposent.

Peut-on distinguer cet anti-sémitisme de l’homophobie, du sexisme, du racisme anti-blanc ?

Cela va ensemble. L’antisémite est comme le toxicomane qui n’est jamais addict à un seul produit. D’ailleurs, il y a souvent une équivalence dans le discours entre les Juifs et les femmes. L’homo-phobie, le sexisme et le racisme s’alimentent. Du reste, vous entendez souvent dans la même phrase : on ne peut rien dire sur les Juifs et les homos, mais tout sur les Arabes, les musulmans… Ce qu’on observe aujourd’hui, c’est un très fort repli de ces populations sur la famille, l’ethnie. Elles deviennent plus conservatrices. C’est une permanence. Moins vous êtes éduqué, plus vous êtes pauvre, plus vous êtes de droite et peut-être anti-sémite. Et cela va de pair avec le sexisme. « Sale Juif » ou « nique ta mère », c’est très proche du point de vue du contenu.

Peut-on quantifier ce -phénomène ?

L’important, c’est ce que disent les gens. Y croient-ils ou pas ? Les deux souvent. Ce qui compte, c’est le discours et le fait d’y rentrer. Les quartiers difficiles sont probablement un foyer d’antisémitisme très fort, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient un foyer d’antisémites. Ce n’est pas une réponse très optimiste. Ce serait mieux si c’était l’inverse. 

 

Propos recueillis par LAURENT GREILSAMER

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