Le soutien du Monde à Macron ? « Un délire complotiste qui se base sur le tweet d’un actionnaire », ferraille sur les réseaux sociaux un journaliste pour défendre vaillamment sa direction accusée de favoriser le candidat d’En marche ! « Patrick Drahi, moi, depuis qu’il est entré au capital du groupe, je l’ai vu une seule fois en tête à tête, et j’ai discuté de tout avec lui, sauf de la ligne éditoriale de BFM TV », entonne également le directeur général de la première chaîne d’information en continu du pays lorsqu’un animateur lui demande s’il est à la tête d’une sorte de « Télé Macron ». « On n’est pas là pour contrôler, on est là pour aider la presse à exister », susurre à son tour Xavier Niel, le géant des télécoms copropriétaire du groupe tentaculaire rival dudit Drahi, sans que la journaliste qui l’interviewe voie là matière à exercer un droit de suite. « Regardez Balladur, vous trouvez franchement que la presse lui a rendu service en se mettant comme un seul homme derrière lui en 1995 ? », se risquent d’autres encore. À ce stade-là des conversations, le référendum de 2005 déboule généralement comme argument massue. « Tous les médias ont fait un battage effréné en faveur du “oui”, et vous vous souvenez du résultat ? »

Alors voilà, à croire les professionnels de l’information, ils n’auraient aucun pouvoir, et c’est bien à tort qu’on les accuserait de matraquer les consciences. Non seulement leur influence serait quasi nulle, mais leurs actionnaires eux-mêmes ne tenteraient aucunement d’orienter le cours des scrutins. C’est d’ailleurs à se demander ce que ces derniers cherchent au juste à faire en finançant ainsi, à fonds perdu, des troupeaux de journalistes impropres à convaincre quiconque de quoi que ce soit. Face à tant d’inoffensivité affichée, on ne peut que se remémorer l’ironie parfaite d’Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde qui, déjà en 1956, constatait que bien que les journaux soient rarement prospères, loin s’en faut, l’argent ne cessait d’y affluer. « Comment expliquer que tant de gens aient tant d’argent à perdre ? », s’amusait ce défenseur lucide de la liberté de la presse, qui n’ignorait pas que l’intrusion des puissances d’argent signait la mort de son indépendance, et l’entrée dans l’ère d’un soupçon hélas justifié.

Alors voilà, puisqu’il faut le redire, envers et contre les menteurs et les naïfs : oui, les médias sont des organes d’opinion, porteurs à des degrés divers d’une idéologie latente, d’autant plus agissante qu’elle avance sous le masque de l’objectivité. Oui, l’information est faussée à la source quand elle est gardiennée à 90 % par le CAC 40, comme c’est le cas aujourd’hui, et cela quelle que soit l’honnêteté intellectuelle déployée à titre personnel par beaucoup de journalistes. Oui, les grands médias, lorsqu’ils chassent en meute, peuvent parfois rater leur coup, comme en 2005, mais pour une opération loupée, combien de réussites inaperçues, combien de victoires au quotidien, pour installer, par exemple, l’idée que la dette est le problème numéro un du pays, que la destruction du Code du travail est le remède au chômage, ou encore qu’un ex-ministre de l’Économie de François Hollande peut incarner la rupture. « Une bulle de savon gonflée à l’hélium », c’est le joli mot employé au sujet de Macron par le politologue Thomas Guénolé. Rien ne garantit qu’elle ne crèvera pas d’ici quelques jours, mais comment nier que ce sont les médias qui l’auront fait enfler jusqu’à l’extravagance, à coups de unes avantageuses et autres portraits enchanteurs car, oui, une élection ça se travaille. 

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