Progrès 

 

À chaque œuf éclos tous on faisait la fête 
à la centrale de l’énergie magique 
Pour combustible il y avait 
une communauté de limaces 
sans aucune hiérarchie 
Les robots nous lustraient les poils 
chacun son terrier 
On avait appris aux hirondelles à voler 
grâce aux fusils 
Les perroquets répétaient  
perroquet perroquet 
Demain était mieux encore 

 

 

En 1985, dans un entretien prophétique, Marguerite Duras s’inquiétait : « Je crois que l’homme sera littéralement noyé dans l’information. Dans une information constante sur son corps, sur son devenir corporel, sur sa santé, sur sa vie familiale, sur son salaire, sur son loisir. Ce n’est pas loin du cauchemar. »

 

La période actuelle semble justifier ses peurs. Limités dans nos déplacements et dans nos relations aux autres, nous subissons avant tout une colonisation de notre espace mental. Il était déjà impossible d’échapper aux injonctions d’un marketing nourri par les neurosciences. À celles des activistes recouvrant de slogans les murs de nos villes pour modifier nos représentations. Nous voici maintenant confrontés aux bienveillantes recommandations des docteurs et des politiques.

 

Les sciences molles que sont l’économie, la sociologie et les statistiques envahissent notre quotidien au risque de nous enfermer. Il ne peut être question de résister à un tel flux, et la connaissance est indispensable à toute vie qui se veut respectueuse du réel et d’autrui. Mais comment digérer ces nourritures amères, sans conserver en bouche un arrière-goût de rancune ou de culpabilité ? L’ironie tragique, c’est que dans le même mouvement nous avons renoncé à assimiler les leçons des sciences dures : la physique moderne a repensé le temps sans modifier notre rapport à nos horloges.

 

En triant toutes ces informations en une unique feuille, le 1 nous aide à nager à marée haute. En dernière page de chaque numéro, la poésie y occupe une place singulière. Car son but ne sera jamais de nous informer. Mais bien de court-circuiter les raisonnements justes ou inexacts pour fluidifier notre rapport au réel.

 

Car, si l’on nous contraint par des mots, ce sont aussi les mots qui nous permettent de nous libérer. Des mots assemblés en images comme une volée au filet, des mots riches de la matière d’un monde que certains voudraient, en toute bonne foi, aseptiser. 

 

« Le vent se lève !... il faut tenter de vivre ! » écrivait Paul Valéry. Qu’il s’agisse de nos relations aux êtres ou à la Terre, d’égalité ou d’écologie, la poésie nous aide à bouleverser nos représentations sans les assécher. À jouer avec les diktats de la modernité pour retrouver le cœur palpitant de la vie. Parce que, la poésie.

 

 

Retrouvez tous les écrits de Louis Chevaillier pour le 1 ici