Les mots sont un champ de bataille, il ne faut jamais l’oublier. Par temps de guerre, celle-ci fût-elle seulement économique, ils peuvent faire des ravages. On le sait, le terme de mondialisation en est venu, depuis les années 1990, à colorer d’ouverture aux échanges, et presque d’humanisme, une réalité pourtant peu folichonne : l’intégration mondiale des marchés, privilégiant les droits des investisseurs au détriment de ceux des peuples. Les adversaires de cette mondialisation néolibérale, eux, doivent aujourd’hui se contenter d’un néologisme négatif pour désigner leur combat : démondialisation. Un terme qui évoque le repli, la clôture sur soi, la fin de la fête. Dans les mots mêmes, c’est une grave défaite, ainsi que l’a parfaitement noté le linguiste et philosophe américain Noam Chomsky. Car qui pourrait être en soi contre l’ouverture aux échanges ? Qui sinon des bataillons de vieux croûtons, de revanchards rancis, de vaincus de l’Histoire ? 

Avec l’adoption du mot démondialisation, on tient là une des plus belles victoires idéologiques du néolibéralisme. Il faut en effet un art consommé de la propagande pour arriver ainsi à rendre inquiétante la fermeture de l’open bar mondial pour les banques et les fonds de pension. Cette situation sera pourtant difficile à renverser, quoi qu’aiment à se raconter ceux qui veulent croire en une année 2017 démondialisée. Surtout avec des avocats de la démondialisation tels que Donald Trump, démagogue de calibre exceptionnel, qui, à peine élu grâce à sa dénonciation de la globalisation, nomma à l’instant le numéro deux de la banque Goldman Sachs à la tête de son conseil économique. Ou avec Marine Le Pen, autre championne de l’antimondialisation, plus intéressée par le fait de bloquer la liberté de circulation des quidams basanés que celle des capitaux, et dont l’entourage inquiétant ne pourrait, lui aussi, que fournir à la France un pouvoir gangster.

L’honnêteté oblige aujourd’hui à dire que nulle part on ne voit une véritable démondialisation de gauche en situation de prendre le pouvoir pour infléchir les désastres en cours dans l’année qui vient. Le paradoxe, c’est justement que celle-ci constituerait une nouvelle internationale, et non un reflux fétide ainsi que le dogme officiel le martèle. Trop tard, le piège sémantique s’est refermé sur les forces de progrès, et le mot même de démondialisation semble indiquer un mouvement inverse de rétraction vers les égoïsmes nationaux. Ainsi les médias dominants ont-ils beau jeu d’en faire une tentation protectionniste d’un autre âge, le stigmate intellectuel entre tous, depuis des années déjà, qui vaut à certains intellectuels et à certains journalistes une mise au ban parfois définitive.

Le libre mouvement des liquidités financières s’accommodant très bien de la fermeture des frontières physiques aux personnes, tout indique au contraire que, des États-Unis jusqu’au Vieux Continent, les forces aujourd’hui à l’œuvre conspirent à renforcer pour le pire ce à quoi l’ère de la mondialisation nous avait déjà habitués. La colère gronde cependant au sein des peuples, toujours plus éruptive, toujours plus imprévisible, même si certains, à l’image du nouveau président de la première puissance mondiale, pensent pouvoir se contenter d’en jouer avec obscénité à leur seul profit. Jusqu’à quand ? 

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