Il faut imaginer un petit mamelon de verdure et de quiétude sur les hauteurs de Lausanne. C’est ici que prospère la fondation Clémence, un établissement médico-social qui accueille en résidence une centaine de personnes âgées. En cette veille de printemps, Philippe Günter, le directeur de l’institution, se félicite de son jardin tout près d’éclore. Il a été réalisé par un horticulteur volontaire du service civil – « civiliste », dit-on dans la Confédération. Depuis 1996, les réfractaires au service militaire obligatoire peuvent en remplacement réaliser des missions d’intérêt général auprès d’organismes à but non lucratif. Les objecteurs de conscience ne sont plus des déserteurs. Et le service civil connaît un franc succès. En 2012, pas moins de 15 000 jeunes ont choisi cette option. Indemnisées autour de 500 euros mensuels, ces missions s’étendent sur 390 jours, soit une fois et demie la durée du service militaire.

Pour Philippe Günter, « accomplir son service civil en institution de gériatrie permet de combler le fossé entre les générations. Les jeunes ont parfois l’idée d’un mouroir. Ils sont surpris de voir que la vie et la joie existent aussi dans ces endroits ». La fondation accueille en ce moment huit civilistes répartis dans différents services : animation, technique et informatique. Le processus de recrutement revient au directeur d’établissement. « Pour le service technique, je privilégie les individus qui possèdent des compétences dans le bâtiment : menuisiers, charpentiers, électriciens… » Et il se défend bien de concurrencer le marché de l’emploi : « Ils sont ici en surnuméraire. Si l’on devait convertir onze civilistes en postes fixes, cela reviendrait à un salarié et demi. »

Vêtus d’uniformes bleu et marron, ils sont aisés à reconnaître dans les couloirs de la fondation. Jérémy, 27 ans, est affecté au service technique depuis trois mois. Après des études d’histoire, il a tenté l’école de recrues qu’il a abandonnée au bout d’une semaine. « Je me sentais enfermé, confie le jeune homme. J’avais le sentiment d’avoir du temps libre sans pouvoir en disposer réellement : il fallait attendre les ordres. Je me suis senti privé de toute initiative. Le service civil permet une plus grande autonomie. » Vincenzo, civiliste de 30 ans, est résolument antimilitariste. « Surtout en Suisse, un pays neutre. » De son côté Estefan, 21 ans, ne souhaitait pas renoncer à ses entraînements de football. Les deux garçons s’accordent pour dire que cette expérience a transformé leur perception des personnes âgées.

La suite de notre périple nous conduit sur les rives du lac de Neuchâtel, non loin d’Yverdon-les-Bains, une commune prisée l’été pour ses plages de sable fin. Là, 3 000 hectares de réserve naturelle sont protégés par l’association de la Grande Cariçaie. La réserve abrite un quart de la faune et de la flore du pays dont un sujet notable, la déesse précieuse : « une libellule rarissime en Europe ! » s’enthousiasme le biologiste Christophe Le Nédic. La structure emploie neuf personnes à temps partiel et deux civilistes, principalement des biologistes. Leur travail se répartit entre l’entretien de la réserve, les observations scientifiques, l’accueil et information du public. « Pour ces jeunes, cela représente une véritable opportunité professionnelle car il existe très peu de postes dans ce domaine. »

Titulaire d’un bachelor en biologie de l’université de Lausanne, Mehdi, 22 ans, est l’heureux élu. « Je ne cautionne pas l’armée. Dans ma conception du monde, on ne règle pas les conflits par la guerre », nous dit-il entre deux observations de batraciens. Le jeune homme a pris une année sabbatique pour accomplir son service civil. « Je n’avais pas trop le choix car la première affectation doit durer six mois. Mais cela permet de se forger une expérience et de construire un réseau », précise-t-il. Un modèle bien rodé qui présente aussi ses faiblesses. « Le service civil peut créer une concurrence déloyale par rapport aux femmes qui n’y ont pas accès, regrette Christophe Le Nédic. Ici, on essaie de compenser avec les stagiaires pour arriver à un résultat assez paritaire. »

C’est la fin de l’après-midi, Mehdi chausse ses hautes bottes pour affronter les marais, enfourche son vélo et nous guide vers le repaire des amphibiens et invertébrés. Il recense un crapaud et deux grenouilles rousses. Pour le héron pourpré et la panure à moustaches, il faudra attendre la belle saison. 

ELSA DELAUNAY

 

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