Les hannetons passent, communément,
           Pour n’avoir pas grand jugement.
           Pleins d’une verve hurluberlue,
Vous les voyez s’envoler tout à coup,
Tourner de-ci, de-là, sans savoir où,
           Donnant de la tête partout,
           Comme s’ils avaient la berlue.
           Les chasser et s’emparer d’eux,
           Pour l’écolier industrieux,
Est, dans les mois d’été, le plus plaisant des jeux.
           Vous savez comment on opère :
Par sa patte est lié notre coléoptère,
           Par la patte ou bien par le col ;
           On l’invite à prendre son vol ;
           Puis pour le ramener au sol,
           On tire sur le fil : – Hop ! terre !… –
(Est-ce de là que vient le nom « coléoptère » ?)
Un hanneton volait ainsi au bout du fil
           Qu’un enfant espiègle et subtil
           Serrait dans sa main diligente.
           Ce rôle, semble-t-il, enchante
           L’insecte de bure vêtu.
                      – Où vas-tu ? –
Lui demande une mouche appliquée à la vitre
           Qu’il vient frapper de ses élytres.
           Il bourdonne, et fait l’important :
– Ne vois-tu pas le jeune enfant
Qui sagement marche à ma suite ?
On m’en a confié la garde et la conduite.
           Le pauvret, s’il ne m’avait pas, –
           Que de faux pas je lui évite !…  –
           Pour l’emmener ici et là,
           Et modérer, quand il est las,
           Ses longues courses trop rapides !…
Au moyen de ce fil, je le tiens par sa main,
           Et, toujours dans le bon chemin,
           Je suis son mentor et son guide.

Pour diriger l’État, combien de hannetons !
           Notre République en est pleine.
           Ils proclament, sur tous les tons,
           Leur influence souveraine,
           Et croient mener quand on les mène.

 

À vingt-sept ans, Franc-Nohain renonce à son poste de sous-préfet pour la carrière d’écrivain. Il sera poète au cabaret du Chat-Noir, pataphysicien à la suite d’Alfred Jarry, puis romancier et journaliste. C’est à L’Écho de Paris qu’il fait de la « politique d’homme de lettres », et signe des fiches quotidiennes sur l’actualité. Soit de courts textes sarcastiques qui moquent les ridicules des hommes d’État, ou expriment des opinions réactionnaires parfois dignes de Barrès. Comme quoi, l’on peut faire le chemin inverse de nombre de candidats aux prochaines élections législatives et passer de la sphère politique à la société civile. Reste à savoir si ceux qui seront élus dirigeront la France, ou seront semblables au hanneton de la fable. Il est des ministres moins puissants que leur directeur de cabinet, et des députés prétendument libres incapables de s’opposer à leur parti. Alors que la France a avant tout besoin d’experts courageux et indépendants. Espérons qu’après ces élections nous ne ferons pas nôtre le regret de Figaro dans Le Barbier de Séville : « Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint. » 

 

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