Quelle couleur aura l’été 2020 ? Sera-t-il vert, comme la conscience environnementale qui ne cesse de grandir et que la pandémie a renforcée ? Vert, comme l’espace rural français qu’une part des vacanciers en mal de long-courriers va redécouvrir ? Vert, comme un tourisme plus frugal et responsable, encouragé par la crise économique mais aussi par un désir de sauvegarde de la planète ?

 

Le tourisme est un fidèle indicateur de l’état de nos sociétés évoluées, de leurs tendances et de leurs fractures (environ 40 % des Français ne partent pas en vacances, une proportion qui pourrait s’accroître cette année). Apanage des jeunes aristocrates à partir du xviiie siècle, conquête des classes moyennes dès la fin du xixe, il s’est démocratisé et mondialisé jusqu’à devenir une composante économique majeure de nos sociétés de loisirs et d’événements.

 

L’anthropologue Jean-Didier Urbain montre que le tourisme industrialisé est entré en crise sous l’effet des plates-formes numériques. Internet multiplie les possibilités d’individualisation du voyage et pourtant 95 % des touristes continuent de se rassembler sur moins de 5 % de la surface du globe, essentiellement au bord des mers et des océans, plus récemment dans des villes. Les désagréments causés par le tourisme ne sont pas récents. Dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, Chateaubriand fustigeait les papiers gras laissés sur les pentes du Parthénon par les premiers voyageurs transportés par Thomas Cook. Mais le conflit est aujourd’hui porté à un haut niveau d’incandescence, comme l’enquête de Bernard Poulet à Venise le démontre : la manne touristique n’a jamais été aussi importante, et la « tourismophobie » grandit à mesure…

 

Quels effets produira la crise sanitaire, « la pire épreuve de l’histoire moderne du tourisme », disait Édouard Philippe au moment d’annoncer un plan de 18 milliards d’euros ? Le nouveau monde est difficilement lisible mais des pistes existent. Manon Paulic a enquêté sur la réalité virtuelle boostée par le confinement qui peut bouleverser le voyage d’affaires et pourquoi pas, à terme, fluidifier la fréquentation de points d’affluence menacés de thrombose, du Louvre au Taj Mahal. On peut aussi parier que le tourisme durable (7 à 10 % des voyageurs ont recours à des plates-formes coopératives) continuera sa lente progression. Pour le reste, le touriste ne peut s’exonérer de sa responsabilité individuelle. Pour paraphraser ce que disait au sujet du roman Stendhal, à qui l’on doit l’importation dans la langue française du terme anglais tourism : en même temps qu’un dépaysement, le voyage est un miroir tendu à nous-mêmes. 

 

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