Un Arc de Triomphe dégradé en mondovision. Un portail de ministère enfoncé par des manifestants. Des routes bloquées dans tout le pays. Ces scènes ont balayé, aux yeux de la presse internationale, l’image idéale du jeune président rassembleur et dynamique élu par les Français. Pourtant, cette crise a eu des vertus. Elle a remis en question le macronisme triomphant, qui ne se rendait pas compte qu’il avançait sans entraîner. Qu’il professait sans convaincre. Qu’il réformait sans rassembler.

À force de ne pas rencontrer d’opposition réelle (syndicale ou politique), La République en marche a fini par croire que rien ne pouvait l’entraver. Funeste erreur. Emmanuel Macron l’a lui-même reconnu, lors de sa conférence de presse après la fin du Grand Débat national, le 25 avril 2019 : « Je crois que j’ai compris beaucoup de choses de la vie du pays. » Une leçon, dans les deux sens du terme. 

De fait, cet « acte II du quinquennat » délaisse les atours de la rapidité et de l’efficacité, pour goûter au dialogue et à l’élaboration conjointe. Les « réformes-TGV » du début de mandat, dégainées par ordonnances, semblent désormais anachroniques. Elles font même office d’antimodèle. Le gouvernement annonce désormais une concertation citoyenne de « presque un an » avant d’engager la risquée refonte des régimes de retraites. Comme il existe la slow food, voici la slow politics. De même, des citoyens tirés au sort vont débattre des grandes orientations écologiques du pays – « Tout ne peut plus venir d’en haut », explique le président. 

Certes, la proclamation d’un « acte II », c’est un grand classique de communication. Combien de fois les citoyens se sont-ils vu promettre un « tournant », un « nouvel élan », un « gouvernement de combat » ? Mais après une telle crise, le président n’a pas le choix : il doit prouver que « rien ne sera plus comme avant », selon la formule de la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye.

 « Ceux qui ne sont rien », « les fainéants, les paresseux et les cyniques », « traverser la rue pour trouver du travail » : ces sorties hasardeuses ont fourni des slogans tout trouvés aux pancartes et aux banderoles. « Quand ça blesse, c’est une erreur », a reconnu le chef de l’État. Il était vif et tranchant, la « marée jaune » a émoussé ses arêtes, a arrondi ses angles.

L’orientation politique a elle aussi changé. Les fermetures d’écoles et d’hôpitaux ont été abandonnées. Les objectifs de suppressions de postes de fonctionnaires ont été desserrés. Une « réhumanisation », un « réenracinement », selon le chef de l’État, conscient d’être perçu comme technocrate, libéral et parisien. Certes, Emmanuel Macron ne s’est pas mué en zélote du protectionnisme intégral ou de l’économie administrée, mais l’ambition sociale transparaît davantage. Les mesures pour répondre aux Gilets jaunes (17 milliards d’euros) ont constitué un mini-plan keynésien. Une relance budgétaire qui semble aujourd’hui doper les chiffres de la consommation intérieure, stimuler la croissance… et protéger la France de la récession que redoutent ses voisins !

Le mouvement des Gilets jaunes a aussi souligné l’insuffisance démocratique de la Ve République. Depuis l’entrée en vigueur du quinquennat – et l’inversion du calendrier électoral –, les députés procèdent du président. Leur élection est indexée sur la sienne. La cohabitation est donc quasiment impossible, tout comme le renversement du gouvernement. Or, un mandat présidentiel ne peut se résumer à cocher les cases des réformes accomplies, avec une clause de revoyure tous les cinq ans. Sinon, le mécontentement ne trouve d’autre d’exutoire que le suicide silencieux ou la révolte violente. La prise de conscience en fut désagréable, brusque, violente pour Emmanuel Macron – mais sans doute salvatrice. 

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