La crise a propulsé de nombreux quinquagénaires au chômage. C’est souvent pour eux une longue traversée qui commence. Traversée parsemée d’entretiens ubuesques, quand on vous dit que vous avez trop d’expérience ! Comment peut-on avoir « trop d’expérience » ? Ce à quoi, on peut toujours rétorquer : « Je peux toujours m’en enlever un peu. » Cette génération est entrée facilement dans le monde du travail, et la voilà confrontée pour la première fois à la nécessité de chercher une nouvelle place dans la société. Et pour cela, il faut savoir se présenter, s’exposer, se vendre. 

Ce n’est pas le cas de Patrick. À 52 ans, il n’a jamais rédigé un CV de sa vie. Il avait trouvé un travail aussitôt ses études finies. Il rédige le détail de sa carrière, mais en plus de ses expériences, on lui recommande de préciser ses hobbies. Doit-il mettre qu’il fait du parachute ascensionnel ? Il hésite avant de renoncer. Ça fait trop casse-cou. C’est pas rassurant pour un employeur. Il ne va pas mettre golf quand même ? Ça fait petit-bourgeois qui va poser des RTT tous les vendredis après-midi. Bon, il n’a jamais joué au tennis de sa vie, mais c’est bien le tennis. C’est sympathique et classique. Mais si jamais son nouveau patron lui propose une partie ? On découvrira alors qu’il a menti. Peut-on se faire licencier pour avoir fait preuve de mythomanie à propos de ses activités sportives ? Pour tout dire, il se sent fragile. 

L’humiliation qu’il a éprouvée en étant viré de sa boîte précédente a fait de lui un homme apeuré par ses propres goûts. Et plus encore : il a tellement perdu confiance en lui qu’il ne sait même plus ce qu’il aime ou pas. Après le sport, le voilà qui mouline pendant des heures sur ses préférences sonores. La musique classique, ça fait vieux. Le rock, bien trop sauvage. Alors le jazz ? Oui, pas mal… Ah non, non, le jazz ça fait syndicaliste. Il finit par ne rien mettre. Aucun hobby. Non, ce n’est pas possible. Cuisiner ? C’est pas mal ça. Ça fait homme moderne, méticuleux, adepte des belles choses. Mais il a peur que ça ne fasse pas très viril. Les patrons, les décideurs, les recruteurs sont des hommes d’un certain âge qui n’ont jamais dû se faire cuire un œuf sur le plat. Il doit être original, tout en créant les conditions d’une entente, avec si possible des points communs. Équation impossible. 

Avant même le premier entretien, Patrick est déjà épuisé par toutes les contraintes du CV. Cette nécessité de se résumer tout en se mettant en valeur. Et puis, franchement, il n’a rien de très spécial. C’est certain, il y aura toujours des CV mieux rédigés, plus complets, plus excitants. Il y aura toujours des candidats parlant le japonais, le russe et l’allemand. Et pourquoi pas le serbo-croate ? Il y aura toujours des candidats spécialisés en cinéma suédois sans sous-titres ou en sculpture ottomane. Patrick, arrête d’être défaitiste, se dit-il. Mais comment être fort quand on vient de vous rejeter ? Au fond, on devrait chercher un emploi quand on est en CDI. Enchaîner les entretiens sans être stressé, déconnecté de l’importance de l’enjeu. Et faire son CV quand personne ne vous le demande. 

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