Je traverse la ville dont je n’attends plus rien
Au milieu d’êtres humains toujours renouvelés
Je le connais par cœur, ce métro aérien ;
Il s’écoule des jours sans que je puisse parler.

Oh ! ces après-midi, revenant du chômage
Repensant au loyer, méditation morose,
On a beau ne pas vivre, on prend quand même de l’âge
Et rien ne change à rien, ni l’été, ni les choses.

Au bout de quelques mois on passe en fin de droits
Et l’automne revient, lent comme une gangrène ;
L’argent devient la seule idée, la seule loi,
On est vraiment tout seul. Et on traîne, et on traîne…

Les autres continuent leur danse existentielle,
Vous êtes protégé par un mur transparent ;
L’hiver est revenu. Leur vie semble réelle.
Peut-être, quelque part, l’avenir vous attend.

 

Le Sens du combat, 1996
© Michel Houellebecq – Flammarion

 

L’œuvre de Michel Houellebecq fait débat. Et sa poésie aussi. Parce qu’il y préfère la fulgurance plate de l’inspiration au jeu complexe des sons. Seules la rime et l’utilisation fréquente de l’alexandrin le rattachent formellement à la tradition. Au contraire de son lexique qui mêle nos abréviations et nos anglicismes quotidiens aux adverbes et au vocabulaire clinique de tout un chacun. Loin, très loin des agacements de l’écrivain Remy de Gourmont, à qui Michel Houellebecq a consacré un texte inspiré, pour la lourdeur apoétique des nouveaux mots de notre techno-philie. Mais, c’est sans doute son rapport au mystère qui étonne le plus. En génie du brouillage de pistes, Michel Houellebecq est capable de composer un roman entier sur la religion, la farce Soumission, sans presque jamais parler de spiritualité. De même, dans sa poésie d’après les dieux, le manque survit à la disparition du péché. La solitude sociale, comme dans les vers ci-dessus, fait écho à un isolement métaphysique. Quand l’écriture elle-même sert de miroir sans tain à notre être intérieur, qui ne parvient plus à trouver de la profondeur dans le monde ou en soi. Un échec que certains poèmes, parmi ses derniers notamment, semblent parfois remettre en question, en même temps que la toute-puissance de l’ego, au profit de l’amour. Chômage a l’air d’avoir été écrit aujourd’hui, mais date déjà de 1996 et du recueil Le Sens du combat

 

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