« Franco-quoi ? Encore une histoire de dictature, madame ? »

C’est tout comme, à en croire leurs mines dépitées devant le tableau où trône, indémodable, la règle de l’accord du participe passé, passéiste. Tyrannique, le professeur qui justifie la torture orthographique au nom de « l’exigence rigoureuse de la langue française qui en fait sa grandeur et sa beauté ». Derrière moi, en musique de fond, La Marseillaise sonne faux. Pourtant, qui prendra les armes, pour notre langue, si ce n’est nous ? Citoyens du monde, comme ils disent, certifiés conformes, agrégés de mots, de voix, de lettres des quatre bouts du globe où la parole s’est faite si belle, en français.

Un énième débat sur la francophonie… On va se redire en huis clos gouvernementaux que parler français ne va plus de soi… Et les grincheux (restons polis !), confortablement installés devant TV5 Monde, marmonneront : « Ça ne va plus de soi, même en France ! »

L’année dernière, 52 500 élèves ont intégré notre système scolaire sans avoir le français pour langue maternelle. Répartis dans des classes d’accueil, autant que faire se peut – c’est-à-dire pas systématiquement. Ce que la France représente pour ces enfants-là, souvent si volontaires, c’est avant tout une langue qui résiste mais pour laquelle on se bat.

Est-ce à dire que dans la classe d’à côté, une classe lambda, le français est une langue qui résiste mais contre laquelle on se bat ?

Entre le « Mais à quoi ça sert, ça, madame ? », syndrome de flémingite aiguë – remarque qui n’est pourtant pas dénuée de bon sens et à laquelle je peine parfois à répondre –, et le « Touche pas à ça, c’est à moi », la langue est un peu barricade : on change de côté selon les jours. Des révolutionnaires conservateurs et parfois l’inverse… Le pavé tombe toujours dans la mare grammaticale.

Nos élèves, à force de ne plus savoir d’où ils ont envie d’être, déparlent-ils la langue ? Défont-ils le lien d’appartenance le plus fort qui les rattache à une identité ? Ou se permettent-ils simplement d’ajouter des maillons à la chaîne ? Un peu de couleur qui simplifie les vieilles conjugaisons. Parce que c’est déjà assez compliqué comme ça, la vie et la langue, à califourchon entre l’école et la maison, entre les drapeaux qu’ils aiment et les musiques qu’ils écoutent.

Et pourtant ils y tiennent à notre accent circonflexe ! Parce qu’ils tiennent tête, parce qu’ils n’aiment pas qu’on les croie bêtes, nos mômes, qu’on les imagine incapables de tracer au-dessus des mots ces jolis traits qui flânent et font de la page remplie un dessin. Ils tiennent farouchement à ce qu’on arrête de les croire incapables de garder les subtilités de la langue de Molière. Drôle de comédie... La francophonie c’est les Français dans le monde. C’est aussi le monde en France, tous les jours, côté jardin et côté cours.

Anecdote éclairante. J’étudie le génocide au Rwanda avec mes élèves de troisième. On parlera des colonies belges plus tard. Pour l’instant, je projette un documentaire dans lequel un rescapé s’exprime en français. Stupeur : « Mais, madame, il parle français !? » J’acquiesce. J’attends. Ça ne tarde pas : « Mais alors, pourquoi on ne les a pas sauvés ? »

Puissance salvatrice de la langue, illustration parfaite non pas de l’Institution majuscule, mais de la communauté, minuscule et énorme à la fois. 

Tu as mes mots, tu es ma voix, tu parles franc. Je te reconnais, mon frère.  

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