« – Mon beau chien, mon bon chien, mon cher toutou, approchez et venez respirer un excellent parfum acheté chez le meilleur parfumeur de la ville. »

Et le chien, en frétillant de la queue, ce qui est, je crois, chez ces pauvres êtres, le signe correspondant du rire et du sourire, s’approche et pose curieusement son nez humide sur le flacon débouché ; puis, reculant soudainement avec effroi, il aboie contre moi, en manière de reproche.

« – Ah ! misérable chien, si je vous avais offert un paquet d’excréments, vous l’auriez fleuré avec délices et peut-être dévoré. Ainsi, vous-même, indigne compagnon de ma triste vie, vous ressemblez au public, à qui il ne faut jamais présenter des parfums délicats qui l’exaspèrent, mais des ordures soigneusement choisies. »

 

Le Spleen de Paris, 1869

 

Charles Baudelaire n’est vraiment pas un poète sympathique. Non seulement, il passe son temps à renier sa propre pitié, de peur de penser du bien par bêtise. Mais il conjugue à la haine de soi le mépris de tous les principes de la démocratie. Jusqu’à paraître prophétique par instants à ceux qui dénoncent le dévoiement des idéaux de 1789. Comment croire en effet à la liberté quand on ne peut pas fuir hors du monde ? À l’égalité en droit quand le bon sens d’un miroir suffit à discréditer l’équivalence des chances ? À cette prostitution fraternitaire qui feint d’oublier notre solitude de damnés, exilés par le péché originel ? La presse, bien entendu, n’échappe pas aux critiques de l’écrivain, même s’il cherche, parfois désespérément, à y placer ses écrits. Ce fut le cas du Chien et le Flacon, repris dans le recueil posthume Le Spleen de Paris. Il paraît initialement le 26 août 1862, avec huit autres poèmes en prose, dans le quotidien à grand tirage La Presse, à côté de la chronique boursière et des faits divers. Sans que nous sachions si le public fut sensible à la charge du texte. Mais laissons le mot de la fin au dandy plein de passions contradictoires qui disait ne pas parler « au peuple, excepté pour le bafouer » : « Il est impossible de parcourir une gazette quelconque […] sans y trouver à chaque ligne les signes de la perversité humaine la plus épouvantable, en même temps que les vanteries les plus sur-prenantes de probité, de bonté, de charité […]. Je ne comprends pas qu’une main pure puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût. » 

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