La force des primaires est d’apparaître comme un parangon de modernité démocratique dans un système politique en voie d’épuisement. Comment contester le nouveau pouvoir qu’elles confèrent aux électeurs dans un processus de désignation des candidats jusque-là confiné aux arènes partisanes ? Les primaires ne font cependant qu’ajouter deux tours de scrutin à l’élection présidentielle. Les signataires de l’appel de Libération mettent en avant leur capacité à régénérer le débat politique. Les primaires relèvent bien pourtant de la démocratie représentative et pas de la démocratie participative puisqu’il s’agit de départager des personnalités en lice.

Elles s’apparentent donc plus à un aveu d’impuissance qu’à une nouvelle offre démocratique. Cette procédure constitue une réponse à court terme à la crise des partis, à leur fragmentation et à l’hyper-présidentialisation du jeu politique. Privés d’une base représentative avec le déclin de l’adhésion militante, les partis ne sont plus en mesure de donner une légitimité réelle à leur candidat. Les fraudes massives lors du congrès socialiste de Reims en 2008, ou lors du duel Copé-Fillon à droite en 2012, ont jeté la suspicion sur les consultations internes. Les partis ne parviennent plus à régler en leur sein une concurrence présidentielle exacerbée par le quinquennat et l’inversion du calendrier présidentiel. Avec la tripartition du jeu électoral et l’anticipation de la présence de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, les primaires sont désormais conçues comme une machine à produire de l’unité. Mais la polarisation idéologique à gauche est devenue tellement forte qu’une primaire à large périmètre (de Mélenchon à Macron) apparaît largement improbable.

Cette procédure constitue une réponse à court terme à la crise des partis, à leur fragmentation et à l’hyper-présidentialisation du jeu politique

Les primaires ne font qu’accentuer les phénomènes qu’elles sont censées réguler. Elles affaiblissent encore un peu plus les partis politiques. À quoi bon adhérer à un parti si les militants sont privés de la prérogative de sélectionner leur candidat ? Que devient sa fonction programmatique quand chaque candidat tend à privatiser le travail d’élaboration des propositions (comme on le voit chez Les Républicains) ? Faut-il liquider des partis voués aux gémonies ? Le sociologue Max Weber a été le premier à montrer que leur nécessité est liée au suffrage universel qu’il faut encadrer, ce qui ne signifie pas qu’il est impossible de les réinventer. La gauche ne peut faire l’économie de réelles organisations pour mener la bataille culturelle contre le libéralisme et politiser des catégories populaires qui lui font de plus en plus défaut. Les primaires entérinent surtout la personnalisation mortifère de notre système présidentiel. Elles banalisent les ambitions personnelles en proposant de les arbitrer. La multiplication des candidatures à droite est de ce point de vue assez édifiante.

Les médias se délectent d’une procédure qui allonge et dramatise encore la campagne présidentielle et accentue ce que les Anglo-Saxons appellent le horse-race journalism – une vie politique réduite à une course de chevaux scandée par les sondages. La démocratie d’opinion en sort renforcée. Les sympathisants de gauche ou de droite se prononcent moins sur une identité politique qu’ils n’apportent leur soutien à un candidat sur la base de ses chances de victoire à l’élection présidentielle, mesurées par les enquêtes d’opinion. Cette « présidentialité sondagière » a donné son crédit à la candidature -Hollande en 2011, elle tend désormais à consacrer Alain Juppé à droite. Il est donc fondé de s’interroger : de quelle démocratie les primaires sont-elles le nom ?  

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