Quand je vais dans des écoles pour parler du racisme avec des enfants, je commence par leur demander de ne pas hésiter à poser les questions qui les préoccupent le plus. Je les mets à l’aise pour qu’il n’y ait pas de tabou. Ce fut ainsi qu’en novembre 2009, Kader, 14 ans et encore en classe de sixième, se leva et me dit sur un ton rapide : « Pourquoi les éboueurs sont tous des Noirs ou des Arabes, jamais des Juifs ? » Sans me laisser le temps de lui répondre et sous les rires inconvenants de ses camarades, il poursuivit en récitant les clichés de l’antisémitisme de base (l’argent, les banques, les médias, les complots). Apparemment, les Juifs cristallisaient ses hantises. Ce garçon qui avait comme ses camarades accumulé les échecs scolaires –  c’était une classe spéciale dans un collège parisien – avait besoin d’un bouc émissaire. Les Juifs remplissaient ce rôle. Je me rendis compte aussi qu’il n’était pas le seul à se focaliser sur les Juifs. 

Cet antisémitisme est fréquent et s’installe par manque d’éducation et parce que l’amalgame est facile. La parole libérée, chacun allait de son reproche. Je sentis qu’il y avait là beaucoup de travail à entreprendre. Ces élèves étaient déjà des déclassés. Au fond, nombreux étaient ceux qui visaient l’État d’Israël et l’injustice faite au peuple palestinien. Certains reprochaient à la France de venir systématiquement au secours d’Israël oubliant les souffrances des populations palestiniennes dues à l’occupation et à l’embargo, notamment à Gaza. L’expression la plus entendue fut « deux poids, deux mesures ». Nous étions loin de la question de Kader. J’ai dû faire un cours de science politique et d’histoire, mais il n’y avait rien à faire, le racisme avait creusé son sillon parmi ces adolescents qui n’approfondissaient pas les problèmes. 

De là, j’ai imaginé les discussions qui devaient avoir lieu dans les cages d’escalier où les « Feujs » étaient stigmatisés, et personne ne venait pour les instruire. J’ai compris ensuite que leurs frustrations étaient doublées de rancœurs et de mal-être. Parce qu’à leurs yeux, les Juifs réussissent mieux en général et ne dissimulent pas leur soutien à Israël.

L’extrême avait été atteint avec l’affaire Ilan Halimi, enlevé dans la région parisienne, séquestré, torturé, puis massacré par le « gang des barbares » en janvier 2006. Évidemment ces élèves n’avaient rien de tortionnaires, mais on sait, hélas, que le discours raciste ouvre la voie à des dérives qui peuvent mener à des tragédies. C’est pour cela que la lutte contre tous les racismes doit être quotidienne et s’intégrer à l’enseignement de toutes les matières. Ces élèves excédés sont, au fond, gagnés par le désespoir et la fatalité de l’échec, tous les échecs. Leur antisémitisme révèle l’étendue d’un malaise exacerbé et incline les plus faibles et les plus désespérés d’entre eux à suivre les recruteurs du djihad. 

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